Analyses

Habitudes des français pendant les vacances d’été

Les différentes familles politiques passent des vacances d’été très différentes : certaines ont les moyens de voyager, d’autres pas, certaines se font héberger chez des amis ou pratiquent le camping quand d’autres
vont dans leur résidence secondaire en bord de mer, certaines font du sport quand d’autres préfèrent bronzer à la plage, certaines prennent un spitz à l’apéritif quand d’autres restent fidèles au pastis.
Si l’on part en vacances avec un petit budget, que l’on va au camping, que l’on apprécie tout particulièrement faire la sieste et boire un verre de porto en regardant Camping Paradis, les chances que l’on soit Eurosceptique et électeur de Marine Le Pen sont élevées.
Tandis que si l’on passe ses vacances en bord de mer, dans sa résidence secondaire en buvant du Spritz ou du Whisky en regardant le Bureau des légendes, il y a de fortes chances que l’on soit Centriste ou Libéral et que l’on ait voté Macron ou dans une moindre mesure Pécresse à l’élection présidentielle.
Pendant ce temps, les Multiculturalistes – le cluster le plus mélenchoniste – passent leurs vacances en étant hébergés chez des amis, font des visites culturelles, regardent Peaky Blinders et partagent parfois le soir une Téquila.

Points saillants du sondage sur les vacances des différentes familles politiques

• Ce sondage a été réalisé sur un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. 2008 personnes interrogées entre le 20 et le 23 juillet 2022 (cf. notice technique).
• Premier enseignement : 44% des Français ne partiront pas en vacances cet été.
• Seuls 24% partiront plus de deux semaines.
• 78% de ceux qui partent en vacances restent en France contre 27% qui iront à l’étranger (total supérieur à 100 car il est possible de partir en France et à l’étranger).
• Les principales destinations étrangères sont au sud de l’Europe : Espagne (23%), Italie (20%) et Grèce (9%) sont les trois pays les plus visités. La douceur de vivre et le soleil méditerranéens sont clairement plébiscités.
• Parmi les 44% qui ne partiront pas en vacances, plus de la moitié (56%) déclarent que c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire.

Les différentes familles politiques ont des chances très inégales de partir en vacances

Les clusters macronistes sont ceux qui partent le plus en vacances

Les Centristes sont le groupe qui part le plus en vacances cet été : 75%. Dans ce groupe ne pas partir est le plus souvent un choix : seuls 6% des Centristes déclarent ne pas partir pour des raisons financières.
Suivent les Libéraux qui partent en vacances pour 71% d’entre eux, puis les Sociaux-Démocrates et les Progressistes qui dans les deux tiers des cas (66%) partent en vacances cet été.
Il est très intéressant de constater que ces 4 sensibilités politiques (clusters) – qui couvrent l’ensemble de l’axe gauche/droite – sont celles qui ont le plus voté en faveur d’Emmanuel Macron au premier tour de
la dernière élection présidentielle.
La France macroniste est une France qui part en vacances ou qui, lorsqu’elle reste chez elle, le fait par choix et non sous la contrainte financière.

Les clusters lepenistes partent peu en vacances

Si la France qui a voté Emmanuel Macron peut s’offrir des vacances, celle qui a voté Marine Le Pen reste majoritairement chez elle pendant l’été.
Les clusters de la coalition électorale de Marine Le Pen sont ceux qui partent le moins : plus de la moitié des Réfractaires et des Sociaux-Patriotes, 62% des Anti-Assistanats, 66% des Conservateurs et même
78% des Eurosceptiques ne partent pas en vacances. Dans tous ces groupes, Marine Le Pen est arrivée – souvent largement – en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle.
Ne pas partir en vacances est dans la grande majorité des cas un non-choix : 67% des électeurs lepénistes qui ne partent pas en vacances invoquent des motifs financiers (contre 30% seulement des
électeurs d’Emmanuel Macron).
Le clivage Macron/Le Pen oppose assez largement une France qui peut s’offrir des vacances VS une France contrainte de rester chez elle l’été faute d’avoir les moyens de partir.

La coalition melenchoniste est la plus hétérogène en terme de vacances estivales

Elle se situe dans un entre-deux entre la France macroniste et la France lepéniste.
Le socle du mélenchonisme repose sur trois clusters : parmi eux, un groupe qui part beaucoup en vacances et deux groupes qui partent peu. Les Multiculturalistes – un cluster relativement jeune, diplômé,
de classe moyenne urbaine – part fréquemment en vacances, tandis que les Solidaires (surreprésenté parmi le petit salariat syndiqué) et, plus encore les Révoltés (surreprésentés dans les quartiers de grands ensembles et parmi les Français de confession musulmane) partent peu.
Ces contrastes confirment une nouvelle fois combien la coalition électorale de Jean-Luc Mélenchon est hétérogène socialement puisqu’elle réunit une large fraction des classes moyennes à haut capital culturel (enseignants, fonctionnaires de catégorie A, intermittents, journalistes…) et certains segments populaires : petit salariat syndiqué et population issue de l’immigration africaine.

(A noter que si l’électorat de Jean-Luc Mélenchon pris dans son ensemble part presque autant en vacances que celui d’Emmanuel Macron, c’est grâce au vote – souvent « utile » – d’une fraction significative de ces deux clusters de la gauche modérée – Sociaux-Démocrates et Progressistes – qui sont parmi les plus aisés de la population française. Mais ces deux clusters n’appartiennent pas au socle électoral du mélenchonisme et sont d’ailleurs très critiques à l’égard de Mélenchon).

La destination privilégiée des vacanciers reste la mer pour 49% d’entre eux, suivie de la campagne (27%), puis de la montagne (18%). Parmi ceux qui partent, 11% passent leurs vacances dans des villes.

Les clusters de gauche passent plus fréquemment que les autres leurs vacances à la montagne

3 clusters vont plus que la moyenne à la « montagne » durant l’été. Il s’agit des Multiculturalistes, des Progressistes et des Révoltés, soit 3 clusters dont les orientations penchent majoritairement à gauche – voire très à gauche – et qui ont beaucoup voté en faveur de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.

Les Centristes, quant à eux, privilégient nettement les vacances à la mer : 63% pour ce cluster aisé.

Les macronistes disposent de budget vacances importants tandis que les lepénistes ont les plus petits budgets

Plus de la moitié des Français qui partent en vacances le font avec un budget inférieur à 1000 euros (56%). Seule une petite minorité – 18% – dispose d’un budget supérieur à 2 000 euros.

Sur ce point également, les différences entre famille politique sont spectaculaires.

Les clusters du centre et de la droite qui ont le plus voté en faveur d’Emmanuel Macron – et dans une bien moindre mesure de Valérie Pécresse – sont ceux qui disposent des budgets les plus importants : 38% des Centristes et 38% des Libéraux ont des budgets supérieurs à 2 000 euros.

Les deux clusters de gauche modérée qui ont voté massivement Emmanuel Macron arrivent troisième et quatrième (sur 16 clusters) en matière de budget : 18% des Sociaux-Démocrates et 21% des Progressistes ont des budgets de vacances supérieurs à 2000 euros.

Sur ce point également, le constat est manifeste : plus une sensibilité politique dispose d’un budget vacances élevé et plus les chances qu’elle ait voté en faveur d’Emmanuel Macron sont élevées.

En matière de budget, les clusters de la coalition mélenchoniste occupent une position intermédiaire. Seuls 14% des Solidaires et 11% des Multiculturalistes ont des budgets vacances supérieurs à 2 000 euros. Cela confirme que la gauche culturelle diplômée qui vote Mélenchon – en particulier les Multiculturalistes – dispose d’un capital économique assez réduit. A noter que les Révoltés, autre cluster ayant massivement voté en faveur de Jean-Luc Mélenchon, fortement présent dans les cités, est celui qui présente le plus petit budget vacances : seuls 5% d’entre eux dispose de plus de 2 000 euros.

Mais en moyenne, c’est la coalition mariniste qui a les plus petits budgets vacances. Parmi ceux qui partent en vacances, seuls 11% des Réfractaires, 8% des Sociaux-Patriotes et 7% des Eurosceptiques ont des budgets vacances supérieurs à 2 000 euros. Il est, ici, très intéressant de souligner que parmi les 5 clusters disposant des plus faibles budgets vacances : on retrouve les 3 clusters qui composent le noyau dur de l’électorat de Marine Le Pen et 2 des 3 clusters qui composent celui de Jean-Luc Mélenchon. Les budgets les plus contraint sont aussi les plus radicaux politiquement. 

Passer ses vacances chez des amis ou dans sa famille est le mode d’hébergement privilégié par les clusters de la gauche culturelle et radicale

Les 3 clusters composant le socle du mélenchonisme sont ceux qui passent le plus fréquemment leurs vacances en étant hébergés chez des amis ou dans leur famille : Solidaires (29%), Multiculturalistes (28%) et Révoltés (24%). A noter que les Sociaux-Démocrates – un cluster de gauche culturelle mais très modérée – pratiquent eux aussi ce mode d’hébergement.

Passer ses vacances en mode « itinérant » est clairement une pratique surreprésentée au sein de la gauche culturelle radicale et, plus spécifiquement, des Multiculturalistes (6%). A l’opposé, les clusters élitaires du centre (Centristes) et la droite (Libéraux) bien que disposant d’un budget vacances élevé, ne choisissent presque jamais ce type de vacances. En revanche, ces deux clusters sont les seuls à passer de manière significative des vacances dans leurs résidences secondaires. Ici aussi, on observe que les 4 clusters qui ont le plus voté en faveur d’Emmanuel Macron sont ceux qui disposent le plus de résidences secondaires (alors qu’à l’inverse, les groupes les plus antisystèmes, qu’ils soient de gauche ou marinistes, sont ceux où les résidences secondaires constituent une exception).

Logiquement les clusters élitaires sont aussi surreprésentés parmi les Français qui peuvent s’offrir des vacances à l’hôtel. Si vous partez à l’hôtel, vous aurez bien plus de chances d’y croiser un Centriste, un Social-Démocrate, un Progressiste ou un Libéral qu’un Révolté, un Solidaire ou un Social-Patriote.

Aller au camping inverse ces probabilités puisque cela augmente les chances de croiser des Sociaux-Patriotes ou des Réfractaires ayant voté Marine Le Pen et réduit considérablement celles de croiser un Libéral appartenant à ce cluster de la droite aisée qui a longtemps voté Républicains avant de subir l’attraction du macronisme.

Plaisirs de vacances

« Se balader » est l’activité préférée des Français en vacances : 31%. Tout particulièrement parmi les Progressistes, un cluster jeune, diplômée, de gauche culturelle, écolo et assez modéré.

Le fait d’« aller à la mer » est aussi très apprécié et partagé (23%), tout particulièrement par le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron.

Les Sociaux-Démocrates – cluster de gauche culturelle élitaire et modéré – sont ceux qui déclarent le plus apprécier « lire » et « visiter des sites culturels » pendant les vacances.

Les groupes de la petite droite populaires (Conservateurs et Anti-Assistanat) sont ceux qui déclarent le plus apprécier « bronzer » et « faire des barbecues ».

« Faire la sieste » est également très appréciée (10%), tout particulièrement parmi les Eurosceptiques, un cluster très populaire, très antisystème et âgé.

Beaucoup de Français (10%) citent « l’apéro » parmi leurs activités de vacances préférées, mais c’est tout particulièrement le cas parmi les Identitaires.

Il faut dire que les Français aiment boire, tout particulièrement pendant les vacances : seuls 18% d’entre eux déclare ne pas consommer d’alcool.

Sur le podium des boissons de l’été préférées, c’est sans surprise la bière (47%) qui arrive en tête, suivi du rosé (45%) et du vin blanc (38%). On notera que si ces boissons sont assez fédératrices, la bière est néanmoins un peu plus « Apolitique », tandis que le rosé est plus « Libéral » et le vin blanc plus « Progressiste ».

D’autres alcools paraissent plus typés politiquement. Le Pastis et les liqueurs sont particulièrement appréciés chez les Identitaires et peu appréciés dans les groupes les moins politisés.

Le Spritz est très à la mode (17% des Français en boiront cet été), tout particulièrement parmi les Centristes et dans l’électorat d’Emmanuel Macron.

Les Libéraux, quant à eux, ont un faible pour le Whisky.

Tandis que les Eurosceptiques – qui comptent beaucoup d’ouvriers d’origine espagnole et portugaise – sont les plus fidèles au Porto.

La gauche culturelle – plutôt jeune et diplômée – se distingue, quant à elle, pour son goût prononcé du Mojito (tout particulièrement les Progressistes) et de la Tequila (une boisson minoritaire, mais appréciée des Multiculturalistes et des électeurs de Mélenchon).

La France du Pastis est donc plutôt « Identitaire » quand celle du Whisky est surreprésentée parmi les « Libéraux », celle du Porto parmi les « Eurosceptiques » et celle du Mojito parmi les « Progressistes ».

Les Français ne sont pas des vacanciers très sportifs : seuls 9% citent le sport parmi leurs activités de vacances préférées contre 10% la sieste.

Ils sont cependant 72% à déclarer pratiquer des activités sportives.

La randonnée (34%), la natation (23%), le vélo (16%), mais aussi la pétanque (10%) sont les 4 sports qu’ils déclarent le plus pratiquer pendant l’été.

La natation est particulièrement appréciée des Centristes et des électeurs de Valérie Pécresse (qui sont aussi ceux qui passent le plus fréquemment leurs vacances en bord de mer), tandis que la randonnée et le vélo sont tout particulièrement pratiquées par la gauche modérée : Progressistes et Sociaux-Démocrates. La pétanque est une activité populaire, particulièrement plébiscitée par les Solidaires (gauche populaire) mais aussi parmi les électeurs de Marine Le Pen.

Quand on les interroge sur « la série idéale à emporter pour passer de bonnes vacances », l’on découvre que seuls 35% des Français déclarent « ne pas regarder de série ».

En matière de choix, c’est la dispersion qui l’emporte. Seuls 2 séries remportent plus de 10% des suffrages : Kaamelott (13%) et Game of Thrones (12%). Ces deux séries sont tout particulièrement plébiscités par des électeurs de gauche (Solidaires dans le cas de Kaamelott et Progressistes dans celui de Game of Thrones). Les Centristes apprécient, quant à eux, beaucoup le Bureau des légendes. La série très politique Baron noir fédère le cluster élitaire de la droite (Libéraux) et l’électorat de Mélenchon – tout particulièrement sa fraction diplômée. En thérapie est très appréciée des Sociaux-Démocrates, soit du cluster élitaire de la gauche. Enfin, on notera que Camping Paradis est plus cité que la moyenne au sein du cluster le plus pauvre de la population, les Eurosceptiques dont les votes se partent massivement sur Marine Le Pen.

Les français face à l’inflation

Nous avons interrogé les Français sur la façon dont ils vivent la crise inflationniste en cours. Notre segmentation socio-politique en 16 « clusters » permet de mieux comprendre ce qui se passe au cœur des « Frances ». Le premier enseignement est que l’ensemble des Français – quels que soient leurs revenus ou leurs modes de vies – sont impactés par la crise (I). Mais nous repérons toutefois trois types de consommateurs-citoyens qui ont des pratiques différentes voire opposées (II). Ces différences révèlent les grandes fractures idéologiques françaises. On observe un lien de causalité sensible entre les systèmes d’opinion et la façon de consommer (III).

Une crise qui entraîne des bouleversements brutaux sur la consommation des ménages

La situation économique du pays entraîne une évolution très rapide des comportements économiques déclarés par les Français dans nos études. Notre dernière enquête permet de repérer tous les indices d’une crise profonde et brutale qui s’installe dans le pays. Le pessimisme galopant va de pair avec une mutation qui pourrait se révéler brutale des habitudes des consommations.

Les Français pessimistes

Le moral des Français est au plus bas. Le pessimisme touche davantage les classes populaires mais un sentiment de déclin traverse l’ensemble de la société. 63% des Français interrogés sont pessimistes quant à l’avenir de la société française. Ce pessimisme est plus relatif au niveau individuel : ils ne sont plus que 39% à être pessimistes sur leur avenir personnel. Ces indicateurs psychologiques ont évidemment une influence sur la façon de consommer des ménages et attestent d’une société qui entre en crise. L’ensemble de la société se dit d’ailleurs frappée par la crise inflationniste : 82% des Français déclarent ainsi avoir ressenti une baisse de leur pouvoir d’achat au cours des trois derniers mois. Deux tiers des Français déclarent avoir changé leur habitude de consommation. Deux changements se manifestent plus sensiblement : les Français font plus attention au prix et pour une large partie d’entre eux déclarent pratiquer des restrictions.

La chasse aux prix bas

La chasse aux prix bas est devenue la norme au sein de la population : 84% déclarent être plus attentifs au prix depuis trois mois. Si Les Français restent majoritairement fidèles à leurs enseignes favorites, un tiers d’entre eux déclare, malgré tout, avoir modifié son lieu d’achat au cours des trois derniers mois. Tout laisse à penser que les français pratiquent une forme de « benchmarking » alimentaire. La publicité et la communication grand public des PDG des grandes enseignes jouent un rôle important pour se démarquer. Deux tiers des sondés déclarent avoir regardé les offres promotionnelles de la grande distribution et quasiment un Français sur deux affirme acheter davantage de « premier prix ». Dans la même logique, ils sont 30% à déclarer avoir effectué un premier achat dans un magasin « hard discount ». Dans ce contexte de crise, pour 39% des Français, le prix représente le premier critère de choix en matière de produit alimentaire.

Des consommateurs qui se mettent en état d’urgence

Le pays semble être entré dans une façon de consommer similaire à un état de guerre ou de pandémie. Les pratiques des consommateurs sont bouleversées et nous plongeons dans une ère de sobriété économique à marche forcée.
La baisse de pouvoir d’achat a des conséquences très concrètes : l’augmentation des prix fragilise la consommation, tout particulièrement dans les segments les plus populaires. Deux tiers des Français déclarent ainsi s’être restreint sur certains achats. On achète moins mais on jette aussi moins. 73% déclarent faire davantage attention aux dates de péremption pour éviter le gaspillage et un Français sur cinq déclare même avoir constitué des stocks alimentaires au cours des trois derniers mois.

Toutefois, tous les Français ne sont pas égaux face à la crise. Les milieux populaires sont évidemment les plus impactés. Ce sont eux qui pourtant constituent le premier « public » de la grande distribution.

Trois types de consommateurs

La géographie opère ici comme un révélateur puissant des pratiques d’achat. Elle révèle en effet une fracture importante entre une France plus protégée des chocs économiques, plus progressiste et plus écologiste qui pratiqu déjà une consommation du « monde d’après » (circuit court, petits commerces, bio…) tandis que la France périphérique et populaire privilégie le prix et reste largement fidèle à la grande distribution et aux grandes enseignes. Le prix est certes la donnée la plus importante citée par 54% des consommateurs (comme premier ou second critère d’achat). Mais tout un pan du pays se dirige vers une consommation « en transition ». Ainsi, le « Made in France » est, lui aussi, très fortement valorisé : 41% font de l’origine France une de leurs deux priorités, c’est 17% pour les circuits-courts, 15% pour le « bio » et 15% pour le nutri-score.

Ces priorités se distribuent très différemment selon les consommateurs. On décèle ainsi trois profils-types de consommateurs dans notre sondage :

Les consommateurs populaires

Il s’agit de la partie des Français les plus inquiets, les plus pessimistes. Ces Français, plus âgés que la moyenne, habitent également davantage en zone péri-urbaine ou rurale. Ils font partie des Français les moins aisés et composent une majorité sociologique. Ce sont ceux qui fréquentent le plus les grandes surfaces. Et donc ce sont pour eux que les offres promotionnelles, les remises, les bons d’achat, etc. sont les plus importants. Dans notre segmentation en clusters, ils appartiennent aux groupes « Solidaires », « Révoltés » « Conservateurs », « Sociaux-Républicains », « Réfractaires », « Eurosceptiques », « Sociaux-Patriotes », « Anti-Assistanat » et « Identitaires », soit neuf clusters sur seize. Dans ces groupes populaires, on identifie souvent 30% de répondants qui déclarent aller plus que d’habitude dans les magasins « hard-discount » sous l’effet de la crise en cours. Et près d’un répondant sur deux dit s’être restreint sur certains achats. C’est également dans ces groupes que l’on fait le plus de stocks alimentaires : cela concerne près du tiers d’entre eux.

C’est donc une France très perméable à la crise, peu protégée, qui ne boucle pas ses fins de mois et qui peine à remplir son frigo passé le 15 du mois.

Les consommateurs idéologisés

On retrouve dans les métropoles une population plus jeune, plus dynamique, plus diplômée que la moyenne qui consomme « autrement » et qu’on pourrait appeler les consommateurs du « monde d’après ». Ils représentent environ 15% de la population. On les retrouve dans les clusters des Multiculturalistes, des Sociaux-Démocrates et des Progressistes, groupes dont les valeurs penchent à gauche et qui sont sur-représentés dans les grandes villes. Leur mode de consommation peut être considérée comme « idéologisée » en ce qu’il est orienté par des choix politiques et une conscience écologique et sociale très avancée.

C’est pourquoi ils pratiquent moins que les autres le hard discount et sont également les plus réticents à l’utilisation d’Amazon : malgré un pouvoir d’achat conséquent, plus de la moitié d’entre eux dit ne jamais l’utiliser. C’est dans ces groupes qu’on trouve les rares français à ne jamais aller dans les grandes surfaces. A l’inverse ils fréquentent davantage les petits commerces de proximité.

Leur mode de pensée les pousse à s’intéresser de très près aux modes de productions et à la qualité des produits qu’ils achètent. Le coût écologique du produit a pour eux quasiment autant d’importance que le coût économique. Dans ces groupes, un tiers place le fait que le produit soit labellisé biologique dans ses deux priorités lorsqu’il achète un produit alimentaire. Un quart place le « nutri-score » dans ses deux priorités. Malgré cela, ces groupes ne sont pas hermétiques à la crise, car il regroupe également une partie sensible de classes moyennes inférieures et d’étudiants. C’est ainsi qu’une bonne moitié d’entre eux citent le prix parmi ses deux priorités lors d’un achat alimentaire.

Les consommateurs aisés

Ils représentent également environ 15% de la population et appartiennent aux franges les plus hautes dans l’échelle des revenus. Ils sont à ce titre évidemment moins touchés par la crise.

Nous les retrouvons dans trois clusters très diplômés et très élitistes : Sociaux-DémocratesCentristes et Libéraux. C’est une France plus optimiste qui pense que le pays va s’en sortir et qui croit encore à l’économie mondialisée. Il n’y a qu’au sein de ces groupes que « favoriser la croissance économique » est cité par plus de 50% des personnes interrogées quant à leurs trois priorités pour le pays. La confiance dans le « système » est ce qui fédère ces groupes qui sont clivés sur de nombreux autres sujets. De fait, leur situation économique les réunit. Appartenant aux catégories supérieures, ils habitent dans les zones les plus dynamiques et font partie de la clientèle principale des petits commerces de proximité, moins par choix idéologique que par confort économique. Pour 10 à 20% d’entre eux, ils font partie des rares Français à déclarer utiliser de façon habituelle la livraison de courses à domicile.

Bien qu’ils se disent également concernés par une baisse de pouvoir d’achat, leur confort économique leur permet d’avoir des priorités autres que le prix lors de leurs courses. On est bien plus attentifs dans ces groupes aux produits bio (surtout pour les Sociaux-Démocrates et les Centristes), au label rouge et aux labels AOC (surtout pour les Centristes et les Libéraux) que dans la moyenne de la population.

En somme, ces consommateurs continuent de constituer une clientèle de choix pour la grande distribution car si elle ne fréquente pas nécessairement les grandes surfaces, elles fréquentent leurs antennes citadines (Spar, Carrefour City, Utile, Monoprix…) avec un pouvoir d’achat qui leur permet de continuer à acheter des produits plus coûteux et une consommation plus diversifiée.

Fractures économiques et fractures politiques se superposent

Symbole de l’influence de la situation matérielle sur la façon de penser et de voter, ces clusters Sociaux-Démocrates, Centristes et Libéraux, constituent sur le plan électoral le cœur de la coalition d’Emmanuel Macron. Ils l’ont largement placé en tête le soir du 1er tour. Il s’agit plus que jamais de « la France qui va bien ». A l’inverse, la France la plus touchée par la crise correspond davantage aux électorats de Jean-Luc Mélenchon et, plus encore, de Marine Le Pen. Cela concerne principalement sept de nos seize clusters qui sont également ceux qui dans nos précédentes études déclaraient le plus s’être mobilisé sur les ronds-points en novembre 2018. Ils ont des caractéristiques propres, des différences d’opinion importantes mais s’accordent sur un point : le rejet massif du « système » et un sentiment de révolte partagé. Au sein de ces sept clusters, plus des deux tiers des sondés déclarent avoir l’impression de « vivre moins bien que ses parents » quand les électeurs du Président de la République sont à l’inverse majoritaires à penser « vivre mieux » que leurs parents.

La France des ronds-points est aussi celle des centres commerciaux, cette France qui collectionne les vignettes et les promos offertes dans les boites aux lettres pour remplir ses caddies. C’est une France qui travaille mais qui ne vit pas convenablement de son salaire et qui ne consomme pas comme elle souhaiterait consommer.  Les clusters populaires sont 50% à placer la hausse du pouvoir d’achat en tête de leurs préoccupations, loin devant les autres enjeux (climatiques, identitaires, idéologiques).

La consommation n’est sans doute pas uniquement un révélateur des fractures françaises. Elle en est aussi sans doute l’un des principes explicatifs. Suivant cette logique, nous sommes en face d’une crise économique qui pourrait avoir des effets politiques durables, en particulier dans le contexte actuel d’instabilité institutionnelle. Notre étude semble indiquer qu’une détérioration du pouvoir d’achat et de la consommation des ménages serait un facteur de radicalisation politique qui pourrait trouver son prolongement dans les urnes lors des prochaines consultations électorales.

Cluster17 trois blocs et deux perdants

Trois blocs et deux perdants

Même si les votes favorables à M. Emmanuel Macron ont progressé avec le revenu et l’âge des électeurs, ces données ne résument pas la sociologie électorale du dernier scrutin présidentiel. Les positions par rapport à l’Europe, aux vaccins, à l’islam, à l’urgence écologique ont souvent joué un rôle décisif, tout comme le niveau de défiance envers le « système ».

situation-economique

Emmanuel Macron face à la France populaire et au mur du pessimisme

Nous avons interrogé les Français sur leur situation économique alors que l’inflation s’installe de manière structurelle et affecte le pouvoir d’achat de la population. Deux France se font face : une France qui subit cette inflation et se trouve fragilisée. Une majorité de français dit ainsi voir sa situation se détériorer. En face, une France à l’abri de ces instabilités économiques.

Une situation économique détériorée

situation-economique

Ce sont les clusters populaires qui, sans surprise, se disent le plus en difficulté. Deux groupes qui votent majoritairement Jean-Luc Mélenchon : les Solidaires et les Révoltés et quatre groupes qui votent majoritairement Marine Le Pen : les Réfractaires, les Eurosceptiques, les Sociaux-Patriotes et les Identitaires. On retrouve dans ces six groupes une sur-représentation d’ouvriers et d’employés, en particulier pour l’électorat de Marine Le Pen. Ce sont également des clusters vivant plutôt dans le péri-urbain ou la « France périphérique » et donc très dépendants de la voiture. On retrouve en somme cette « France des fragilités sociales » décrite par Christophe Guilluy dans son ouvrage de référence La France périphérique. Ces clusters populaires sont également ceux qui se sont le plus reconnus dans le mouvement des gilets jaunes en 2018 et 2019.

Les clusters urbains, diplômés, votant davantage Emmanuel Macron, se caractérisent dans notre enquête par la stabilité de leur situation. Les Sociaux-Démocrates, les Progressistes, les Centristes, les Libéraux sont les seuls clusters à déclarer majoritairement que leur situation est stable ou s’améliore. Ces quatre clusters avaient largement voté Emmanuel Macron lors des deux tours de la dernière présidentielle. Il les a réunis justement sur une demande de stabilité politique et économique qui caractérise ces clusters. Dans un contexte de crises multiples – gilets jaunes, COVID, guerre en Ukraine – Emmanuel Macron a joué la carte de la compétence et s’est présenté comme un rempart face à la radicalité supposée de ses concurrents qui entraînerait le pays dans le chaos. Logiquement, comme en 2017, cela lui a permis d’unir ces groupes qui pourtant sont divisés sur d’autres clivages : culturels, identitaires, écologiques…

La France qui boucle les fins de mois contre la France du 15 du mois.

On retrouve cette dichotomie entre la France qui boucle les fins de mois et celle qui n’y arrive pas. En rouge ci-dessus, les clusters populaires, fragiles qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois. On doit y inclure également, par rapport à la question précédente, le cluster des Conservateurs, dans lequel on retrouve beaucoup de retraités vivant en ruralité. 25% d’entre eux dit ne pas parvenir à boucler ses fins de mois. Ce cluster a été durant la présidentielle en tension entre une offre politique identitaire-populiste et une demande de stabilité. Une moitié d’entre eux a ainsi voté Emmanuel Macron au 2nd tour, l’autre moitié Marine Le Pen. Cela illustre les forts clivages qui traversent une partie des retraités de droite de la France populaire.

Les trois clusters « lepénistes » sont ceux qui déclarent éprouver le plus de difficulté économique. Les Sociaux-Patriotes constituent l’un des clusters les plus populaires de notre segmentation : 31% d’entre eux disent ne pas parvenir à boucler le mois. C’est sur cette fragilité économique persistante que le FN puis le RN ont pu bâtir un socle solide qui n’a pas failli durant la dernière présidentielle malgré la concurrence d’Éric Zemmour. En plus de la demande de protection économique, le RN offre à cet électorat ce qu’il demande : une protection culturelle, identitaire. Se croisent ici la peur du déclassement économique avec la peur du remplacement culturel. Cet électorat qui appartient d’une certaine manière à la gauche économique (qui votait d’ailleurs encore massivement François Hollande au 2nd tour de la présidentielle en 2012) s’est radicalisé contre le « système », le PS et la gauche y étant accusés à tort ou à raison d’avoir trahi les classes populaires, et d’avoir cédé aux excès de la mondialisation.

Subsistent à gauche les classes populaires vivant plutôt dans les banlieues, qu’on retrouve principalement chez les Révoltés qui sont un groupe extrêmement populaire. On retrouve aussi à gauche les ouvriers et petits employés syndiqués de l’industrie ou de la fonction publique bien présents chez les Solidaires. Ces deux groupes votent massivement Jean-Luc Mélenchon. Si leur situation économique est similaire aux clusters Sociaux-Patriotes, Réfractaires et Eurosceptiques, ils se distinguent de ces trois clusters « lepénistes » par une tolérance envers l’Islam et une moindre radicalité sur les questions de frontières et de migrations. Toutefois, ils portent la même opposition radicale envers le Président de la République et plus généralement envers les « élites ».

En vert sur le tableau ci-dessus on retrouve cette « France qui va bien » et qui a voté massivement pour Emmanuel Macron. Les Sociaux-Démocrates et les Libéraux qui jadis votaient PS pour les premiers et UMP pour les seconds se rassemblent dans ce qui ressemble de plus en plus à un « bloc élitaire » pour reprendre la formule de Jérôme Sainte-Marie.  Ces deux clusters forment avec les Centristes le « cœur » de la coalition « macronienne ». Ils sont symboliquement ceux qui déclarent boucler facilement leur fin de mois.

Les Français pessimistes sur le quinquennat à venir

Emmanuel-Macron

La réélection d’Emmanuel Macron ne produit pas l’effet de souffle observé traditionnellement après l’élection présidentielle, laquelle garantit habituellement au Président une forme de bienveillance ou du moins de patience de la part de l’opinion. Malgré qu’ils aient réélu facilement le Président de la République, les Français ne semblent pas nourrir de grandes attentes de ce nouveau quinquennat. 44% des Français pensent que le quinquennat du Président sera « pire » que le précédent contre 28% qui pensent qu’il sera « identique ». Seuls 15% pensent qu’il sera « meilleur ».

Seule une part resserrée de l’électorat présidentiel pense que le second quinquennat sera meilleur que le premier. Les groupes de gauche modérée comme les Sociaux-Démocrates et les Progressistes, bien qu’ils aient largement participé à la réélection du Président, se révèlent hésitants. Une part importante d’entre eux déclarent ainsi « ne pas savoir » si le quinquennat à venir sera meilleur, identique ou pire.

A l’aune des élections législatives, l’enjeu pour Emmanuel Macron est de donner à cet électorat des gages et de le mobiliser à nouveau. En effet, ces deux clusters qui ont longtemps voté pour « la gauche de gouvernement » sont aujourd’hui hésitants entre l’offre proposée par la NUPES et la majorité présidentielle. Si la NUPES parvenait à attirer une partie significative de ces deux groupes, elle pourrait espérer ensuite dans les duels de 2nd tour fédérer les clusters populaires derrière elle dans une sorte de vote utile inversée contre le Président de la République.

Le risque d’une coalition anti-Macron derrière la NUPES

On mesure dans ces deux tableaux la forte radicalité des clusters populaires qu’ils soient plutôt pro-Mélenchon ou pro-Le Pen. Alors que ces clusters votent pour des offres très différentes lors des premiers tours, en cas de second tour NUPES / Renaissance, ces clusters seraient susceptibles de se réunir contre les candidats de la majorité présidentielle dans une logique de clivage peuple VS élite. L’enjeu pour Emmanuel Macron et la majorité est, à l’inverse, de susciter leur abstention, voire même d’attirer ces clusters identitaires au second tour en pointant, comme il a commencé à le faire, les candidats d’union de la gauche comme « communautaristes », complaisant avec l’islam radical, etc. Quoi qu’il en soit, les reports de voix des électeurs du RN au second tour pourraient bien être la clef des élections législatives. Pour l’emporter, la majorité présidentielle ne doit pas laisser se constituer un « front gilet jaune » dans les urnes.

Sur quels éléments repose la victoire d’Emmanuel Macron

Notre enquête durant la journée du scrutin de 2nd tour nous permet de comprendre comment Emmanuel Macron est parvenu à sa réélection. Il a su mobiliser un fond de « front républicain » en s’appuyant principalement sur le vote des modérés et des diplômés. Par ailleurs, l’abstention, relativement élevée, ne lui a pas été si défavorable.

De meilleurs reports de voix du 1er tour pour Emmanuel Macron

La victoire d’Emmanuel Macron repose en premier lieu sur des reports de voix favorables des électeurs du 1er tour, en particulier des électeurs de Yannick Jadot, Jean Luc Mélenchon et Valérie Pécresse. C’est dans l’électorat de Yannick Jadot que les reports sont les plus élevés (65% de ses électeurs du 1er tour ont choisi Macron au 2nd). Pour les électeurs de Pécresse et Mélenchon c’est le non choix (abstention et votes blancs) qui arrive en tête, montrant la difficulté pour Emmanuel Macron de mobiliser un « front républicain » dont on constate la dissolution progressive de scrutin en scrutin. Ainsi, 54% des électeurs de Mélenchon n’ont pas choisi entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, idem pour 43% des électeurs de Valérie Pécresse. Mais pour les électeurs du 1er tour de ces deux candidats lorsqu’ils ont choisi ils se sont massivement portés sur Emmanuel Macron (à 67% contre 33%). Logiquement Marine Le Pen a obtenu un report massif d’électeurs d’Eric Zemmour au 1er tour (92%).

Macron ultra-majoritaire chez les diplômés et les retraités, les ouvriers choisissent Le Pen

Emmanuel Macron a largement devancé sa concurrente chez les cadres, professions intellectuelles supérieurs et les professions intermédiaires (catégorie où l’on retrouve les enseignants). Dans cet électorat urbain et diplômé, on retrouve le cœur de l’électorat Macron du 1er tour et de 2017. On a donc à la fois un vote d’adhésion au programme du Président mais c’est également dans ces catégories que l’on vote encore le plus pour « faire barrage » à l’extrême droite. Toutefois, l’abstention (et les votes blancs et nuls) élevée chez les professions intermédiaires montre la lassitude de cet électorat à constamment « voter contre » au 2nd tour. Cela symbolise une nouvelle fois les fissures du « front républicain » dont les enseignants étaient sûrement une des composantes les plus solides. Chez les retraités, Marine Le Pen n’a pas su concrétiser sa « dédiabolisation », Emmanuel Macron y réalise 41% contre 26% pour la candidate RN. On peut voir que la jeunesse est quant à elle très clivée, entre Emmanuel Macron, Marine Le Pen et le non choix (abstention, blancs et nuls). Enfin, si Emmanuel Macron parvient à faire jeu égal avec Marine Le Pen chez les employés, celle-ci le devance largement chez les ouvriers qui se sont portés à 41% sur sa candidature, 23% pour le Président de la République et 36% se sont abstenus. Les ouvriers constituent une part sensible du vote Le Pen, nous les retrouvons d’ailleurs dans les clusters phares de la candidate : les Réfractaires, les Eurosceptiques et les Sociaux-Patriotes, trois clusters qui ont massivement voté pour elle au 1er et au 2nd tour.

Emmanuel Macron s’appuie sur les clusters modérés et dépolitisés, Marine Le Pen sur les clusters populaires

Emmanuel Macron est parvenu à mobiliser sa base électorale du 1er tour qu’on retrouve principalement dans les clusters les plus modérés et les plus dépolitisés : Centristes, Apolitiques, Sociaux-Républicains, Eclectiques mais il a également réussi une fois de plus à unir des clusters qui naguère s’opposaient : les Sociaux-Démocrates, les Progressistes, composantes essentielles du vote PS dans les années 2000 et les Libéraux, composante essentielle du vote UMP et LR jusqu’en 2017 (ils avaient voté à 60% pour François Fillon). Il a réussi à les agréger autour d’une demande de stabilité du système, d’une demande de compétence économique, et la défense d’une forme de modération sur le plan des valeurs. La radicalité des autres offres politiques (Jean-Luc Mélenchon perçu comme trop à gauche sur l’économie et trop « dégagiste », Marine Le Pen perçue comme trop radical sur l’identité et trop incompétente sur l’économie) permet à Emmanuel Macron d’unir par défaut, « faute de mieux » ces anciens électeurs du centre gauche et du centre droit.

C’est ainsi qu’on constate qu’il n’y a pas tant une « droitisation » de l’électorat d’Emmanuel Macron qu’une « centrisation » à outrance fédérant les modérés de gauche et de droite. On constate ci-dessus qu’il a obtenu autant de suffrages chez les électeurs se positionnant « plutôt à gauche » que chez ceux se positionnant « plutôt à droite ».

En outre, alors qu’on commençait à percevoir une mise à équidistance d’un vote « anti-Macron » et d’un vote « anti-Le Pen », il n’y a pas eu d’effet de « sur-mobilisation » contre la figure du Président, les clusters les plus révoltés, y compris ceux du « bloc Le Pen » (Eurosceptiques, Réfractaires, Sociaux-Patriotes) s’étant beaucoup abstenus.

Pour autant, il ne faudrait pas minimiser le rejet suscité par Emmanuel Macron dans l’électorat populaire. Le fait que les Solidaires et les Révoltés, deux clusters ayant voté massivement Jean-Luc Mélenchon et votant constamment à gauche s’abstiennent majoritairement ou lorsqu’ils choisissent, se divisent de façon égale entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron démontre qu’il existe des points de contact entre les « clusters Mélenchon » et « les clusters Le Pen ». Ceux-ci convergent particulièrement autour d’un même rejet du « système » et d’une demande de justice sociale accrue. Une telle convergence électorale s’était produite de fait en 2005 lors du référendum établissant un Traité pour l’Union Européenne et plus récemment sur les ronds-points avec les gilets jaunes. Ces électeurs continuent cependant de se cliver très fortement sur les sujets identitaires empêchant la constitution d’un « bloc populaire » uni qui voterait pour le ou la même candidate.

L’esquisse d’un bloc « anti-Macron » qui s’est dessiné en 2018 sur les ronds-points se retrouvent dans le vote du 2nd tour. Les électeurs qui se sont le plus reconnus dans les gilets jaunes ou qui ont participé à une action se portent massivement sur la candidature de Marine Le Pen. A l’inverse, ceux n’ayant pas de voiture ou ne s’étant pas reconnus dans les gilets jaunes se sont portés vers Emmanuel Macron. Cela recoupe le clivage géographique, opposant une France des métropoles « pro-Macron » et une France périphérique, rurale « pro-Le Pen ». Si ce clivage n’est évidemment pas si limpide, il demeure structurel et largement explicatif du vote. L’inflation sur les prix de l’énergie et en particulier de l’essence durant la campagne a très probablement renforcé ce clivage qui oppose les citoyens des grandes métropoles intégrées et ceux pour qui la voiture est un moyen de locomotion existentiel (pour travailler, pour aller faire ses courses, pour ses loisirs, etc.). Par ailleurs, Marine Le Pen, en essayant d’incarner une figure moins radicale et plus lisse a certainement perdu des voix dans cet électorat qui lui était largement acquis. En adoucissant son image et en cherchant à ne pas cliver notamment durant le débat télévisé, la candidate RN n’a pas « sur-mobilisé » son électorat, entraînant une abstention assez élevée qui lui a été défavorable dans des clusters décisifs. L’abstention massive des électeurs du 1er tour de Jean-Luc Mélenchon mais également de Yannick Jadot constitue un fait important de ce 2nd tour et participe à l’idée observée au 1er tour que cette élection redessine le champ électoral autour de trois grands pôles : écolo-socialiste, libéral-européen, social-identitaire.

La réélection d’Emmanuel Macron revêt une forme de continuité avec son élection de 2017, dans la mesure où il a poursuivi son élargissement à la droite républicaine après avoir attiré une large partie des anciens électeurs du PS dès 2017. Cela entraîne une restructuration profonde du champ politique : les partis de gouvernements LR et le PS (dans une moindre mesure EELV) n’ont quasiment plus d’espace politique. Ils se trouvent contraints de rallier la majorité présidentielle ou de s’unir avec La France Insoumise pour les uns, Reconquête et le RN pour les autres. Les négociations pour les élections législatives montrent bien les tiraillements qui s’opèrent et la puissance de cette recomposition.

Dans le cadre de l’élection présidentielle, la tripartition a pour conséquence inéluctable que l’un des trois camps n’est plus représenté au second tour. Il n’y a finalement plus un perdant mais deux. Les « clusters Mélenchon » sont en effet tout autant opposés à Macron sur les clivages économiques et sur le rapport au système qu’ils ne sont opposés à Le Pen sur l’axe culturel-identitaire. C’est cette double distance qui a amené une fraction importante de l’électorat Mélenchon à renvoyer dos-à-dos les deux finalistes du scrutin présidentiel. Dans notre enquête, 54% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon disent avoir refusé de choisir un des deux candidats. Et ceux qui ont voté sont clivés : lorsqu’ils appartiennent aux classes moyennes diplômées, ils votent Emmanuel Macron, lorsqu’ils évoluent dans les mondes populaires, ils votent dans des proportions importantes pour Marine Le Pen.

Il en résulte qu’Emmanuel Macron a été élu par une fraction réduite du corps électoral (38%) et que le « non choix » (abstention, blancs et nuls) arrive en 2nde position à 34%. Ainsi les « deux Français sur trois » que Valéry Giscard d’Estaing ambitionnait de réunir il y a près de 40 ans, pourrait ne plus être qu’« un Français sur trois ». C’est suffisant pour gagner des élections, mais est-ce suffisant pour asseoir la stabilité du régime ?

Paroles de France(s) : le nouveau podcast politique de Cluster17 !

Que pensent les français de l’accueil des réfugiés ?  Du rétablissement de la peine de mort ? De la suppression de l’impôt sur l’héritage ? De la sortie de l’Union Européenne ? Paroles de France(s) est le podcast politique de Cluster17 qui interroge les français sur les grands clivages qui fracturent le débat public.

Chaque semaine, retrouvez le portrait d’un français, représentant d’un des 16 clusters identifiés par Cluster17, dans la population française. Sociaux-Patriotes, Multiculturalistes, Révoltés… ils composent chacun le tableau de la France contemporaine dans sa diversité et ses paradoxes. Au travers des parcours intimes, les idées politiques prennent corps et nous en apprennent un peu plus sur ce pays si divisé. Pour le 1er épisode nous avons retrouvé Serge qui appartient au cluster des Sociaux-Patriotes.

Paroles de France(s) est disponible à l’écoute sur l’ensemble des plateformes de streaming (Deezer, Spotify, YouTube, Apple Podcasts…) abonnez-vous pour être tenu au courant de la sortie des prochains épisodes.

Macron : Président réformateur et protecteur

Emmanuel Macron : président réformateur et protecteur ?

Nous avons testé avec notre partenaire Marianne l’opinion des français sur quelques phrases emblématiques prononcées par le Président Macron au cours du quinquennat. Le premier enseignement est que ces phrases, préparées ou non, ont clivé l’opinion, ce qui n’est pas négatif lorsque ces clivages se font au bénéfice du président et qu’il permette de coaliser ses clusters cibles. A l’inverse, elles peuvent coaliser les colères contre lui lorsque ses clusters rejoignent l’avis des clusters d’opposition. C’est le cas de la phrase prononcée face à un jeune chômeur qui disait ne pas trouver d’emploi dans son domaine de prédilection. Le président avait répondu « Moi, je traverse la rue et je vous en trouve un de travail ».

Cette affirmation est rejetée massivement dans l’opinion, par tous les clusters, y compris les clusters de prédilection d’Emmanuel Macron. On peut penser que cette phrase renforce l’image d’un président « déconnecté », alors que le chômage sévit et peut concerner de nombreuses familles dans le pays. Seuls les Libéraux, cluster phare de la droite de gouvernement et les Centristes éprouvent un accord très relatif, autour de 48%. Cela repositionne le Président « à droite » et remet de la latéralité droite-gauche dans le débat, ces deux clusters étant historiquement les pourvoyeurs principaux des votes UMP
et LR. Les autres clusters populaires ou de gauche modérée rejettent massivement cette affirmation, remettant ainsi en cause l’équilibre du Président qui repose sur la transversalité.
Les deux autres affirmations testées dans notre étude sont davantage favorables aux propos du Président de la République. Il retrouve cet équilibre entre des clusters de gauche modérée, de droite modérée et des clusters conservateurs, voire populaires. Ainsi, l’affirmation selon laquelle « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux » est approuvée majoritairement dans l’opinion.

Cependant, elle participe également à une relatéralisation du clivage « gauche-droite ». Si ces phrases ont pour but de déstabiliser la droite, alors l’objectif est atteint. En effet, les clusters Libéraux, Conservateurs, Anti-Assistanat, Identitaires, Réfractaires et Conservateurs sont largement favorables à cette affirmation. Ces clusters forment l’assise à la fois du vote LR mais également du RN et d’Eric Zemmour. Nous ne sommes pas surpris que les Libéraux (cluster ayant voté Fillon à 60% en 2017) et les Anti-assistanat plébiscitent cette dénonciation d’un Etat qui engraisserait des « profiteurs », des « assistés », tout ce qui peut être sous-entendu dans une telle phrase.

Les électeurs Pécresse, Le Pen et Zemmour sont mêmes plus favorables aux propos du président que ses propres électeurs. Cette position peut avoir un certain avenir. Si le Président voulait affaiblir ses trois principaux poursuivants ; cliver sur le sujet des minima sociaux pourrait produire un effet sur leurs électeurs et il pourrait espérer ramener à lui certains d’entre eux. Notons que la compétition la plus rude se joue dans ces clusters indécis pour Macron, Pécresse, Le Pen et Zemmour : les Conservateurs, les Anti-assistanat et dans une moindre mesure les Libéraux. Ils sont tous les quatre en grande concurrence dans ces clusters qui votent traditionnellement à droite. Il y a donc des marqueurs et des propositions à formuler si l’on veut « tuer le match » dans ces clusters. Ce thème de l’assistanat semble faire consensus, ce qui n’est pas simple au sein de clusters qui ne sont pas toujours si homogènes sur les questions économiques. Notons que cette affirmation a également la faveur de trois autres clusters dans lesquels le Président est apprécié : les Centristes (coeur de son électorat), les Sociaux-Républicains et les Eclectiques. A l’inverse, les clusters de « gauche » modérée qui ont participé massivement à l’élection du Président en 2017 et qui lui restent pour le moment fidèles dans nos baromètres d’intentions de vote marquent un désaccord franc avec ces propos. Les Sociaux-Démocrates et les Progressistes sont ainsi 70% et 72% à être en désaccord. Ces clusters diplômés sont favorables à une économie de marché, mais également favorables à la régulation de l’économie et à la redistribution. La concurrence est certes plus faible pour le Président de ce côté-ci de l’électorat ; les candidatures Jadot, Hidalgo et Taubira étant à la peine. Cependant, si le candidat Macron prononçait des propos similaires durant la campagne, il leur
laisserait la possibilité de se refaire un matelas, alors qu’il est estimé actuellement à 47% chez les Sociaux-Démocrates et 33% chez les Progressistes. Le rejet massif de cette prise de position par l’électorat Jadot est un signal important, y compris dans une optique de 2nd tour pour le Président de la République qui aura besoin de ces électeurs s’il se retrouvait face à un candidat de droite ou d’extrême droite.
Enfin, nous avons testé l’affirmation « Les français sont des Gaulois réfractaires au changement ». Cette question est celle qui fait le plus ressurgir le « bloc Macron ». En effet, tous les clusters de sa coalition approuvent majoritairement cette affirmation : Sociaux-Démocrates, Progressistes, Centristes, Sociaux-Républicains, Libéraux. Ainsi 86% de ses électeurs se disent d’accord avec lui. Parallèlement, à l’instar de sa politique sanitaire, cette phrase d’E. Macron scinde l’électorat des autres candidats en deux. 64% des électeurs de V. Pécresse sont d’accord, 56% des électeurs de Yannick Jadot et même 50% des électeurs d’E. Zemmour. C’est donc une phrase « efficace » en ce qu’elle permet de fédérer un électorat de façon cohérente « et en même temps » d’envoyer des signaux aux électeurs indécis ou ayant l’intention de voter pour ses concurrents.

Alors que l’affirmation du président sur le « pognon de dingue » renvoie l’image d’un président libéral, celle-ci donne l’image d’un président réformateur qui veut faire évoluer la France. Alors que la première réinstaure le clivage « droite-gauche », la seconde le traverse et place le clivage sur « conservatisme vs réformisme », beaucoup plus favorable pour Emmanuel Macron.
Les Français ne semblent pas avoir mal pris cette affirmation bien qu’il convient cependant d’observer avec prudence ces réponses. En effet, on peut être d’accord avec ce propos sans pour autant souhaiter que les Gaulois ne soient plus « réfractaires ».
Enfin, la mise en place du « quoiqu’il en coûte » a certainement nuancé l’image que se font les français du Président. Alors que la première mi-temps du quinquennat à l’image de ces phrases fortes était placée sous le sceau de réformes « libérales », la seconde mi-temps, jouée face à la crise Covid a remis l’Etat-providence au centre. L’image d’Emmanuel Macron s’en trouve de fait, bouleversée. C’est sur cet équilibre entre réformes pro-entreprises et protections étatiques que la coalition d’Emmanuel Macron pourrait se fédérer à nouveau en avril 2022.

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Sur la politique sanitaire : une France coupée en deux

Dans notre étude réalisée en partenariat avec Marianne du 1er au 5 février, nous avons interrogé les français sur la politique sanitaire du gouvernement. A l’image de notre étude qui testait la réaction de l’opinion aux propos tenus par le Président de la République sur sa volonté « d’emmerder » les non vaccinés, nous constatons que la politique sanitaire suscite l’émergence de deux blocs quasiment équipotents : 44% des sondés soutiennent la politique sanitaire du gouvernement et 48% se dit favorable à l’obligation vaccinale quand l’autre moitié la rejette fermement. Cependant, 69% des français, soit une large majorité de français se déclare favorable à l’arrêt du port du masque. Ce clivage puissant autour de la politique sanitaire recoupe un clivage peuple/élite très marqué. Les clusters les plus diplômés sont pro-vaccins et plus favorables aux mesures prises par le gouvernement, tandis que les clusters populaires non diplômés s’opposent radicalement à la vaccination obligatoire et à la politique sanitaire menée depuis deux ans. Nous retrouvons ainsi logiquement cette opposition au niveau de l’électorat. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen sont les plus opposés aux mesures gouvernementales. L’électorat d’Emmanuel Macron adhère quant à lui massivement aux mesures prises. Les électeurs de l’espace « écolo-social-démocrate » – Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Christiane Taubira – sont extrêmement clivés, de même que les électeurs de Valérie Pécresse et dans une moindre mesure ceux d’Eric Zemmour.

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L’émergence d’un « bloc des colères »

Notre segmentation par cluster permet d’observer dans le détail comment s’articule ce qu’on pourrait appeler un « bloc des colères ». Nous observons comment le thème vaccinal unit les clusters de ce bloc et les met d’accord sur un point : l’opposition radicale à Emmanuel Macron. Nous voyons ainsi se dessiner un arc contestataire qui rassemble principalement six de nos seize clusters : les Multiculturalistes, les Solidaires, les Révoltés, les Réfractaires, les Eurosceptiques et les Sociaux-Patriotes. Ces six clusters ont en commun d’être des clusters populaires ou de classe moyenne inférieure, d’avoir soutenu massivement les gilets jaunes en 2019, de s’abstenir plus que les autres et de s’orienter principalement vers deux candidatures : celle de Jean-Luc Mélenchon (pour les Multiculturalistes, Solidaires, Révoltés) et Marine Le Pen (pour les clusters Réfractaires, Eurosceptiques et Sociaux-Patriotes). Ces clusters ont également en commun d’être les plus réfractaires au libéralisme et de façon générale au « système » incarné par des politiciens dont ils se méfient.

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A la question : « Êtes-vous pour ou contre la vaccination obligatoire », nous retrouvons donc en tête les Sociaux-Patriotes qui se disent très défavorables à 64% et assez défavorable à 15% (un rejet qui s’élève au total à 79%). Dans la même étude, 40% des électeurs de ce cluster disent avoir l’intention de voter Marine Le Pen et 24% pour Eric Zemmour. Le deuxième cluster le plus défavorable à la vaccination est le cluster des Révoltés : 64% se disent très défavorables à cette mesure, 13% se disent assez défavorables. Dans notre étude, 48% des électeurs de ce cluster très populaire et antisystème disent vouloir voter pour Jean-Luc Mélenchon en avril 2022. Les clusters les plus opposés à la vaccination obligatoire sont ensuite les Solidaires (65%), les Eurosceptiques, les Réfractaires (64%), et les Multiculturalistes (61%).

Pour autant, cette convergence est circonstanciée à la thématique sanitaire : un électeur Solidaire ne votera pas pour Marine Le Pen, de même qu’un Social-Patriote a très peu de chance de voter pour un candidat de gauche, bien que Jean-Luc Mélenchon ait réussi à faire des scores intéressants dans ces trois clusters lepénistes en 2017.

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Notre étude montre que l’électorat le plus radical sur la question vaccinale est celui de Jean-Luc Mélenchon dont 75% d’électeurs sont défavorables à la vaccination obligatoire. On comprend alors pourquoi le leader la France Insoumise tient des propos très clivants sur la politique sanitaire. Cela explique également pourquoi Adrien Quatennens a encouragé ses militants sur France Info jeudi 10 février à participer au « convoi de la liberté ». Si cette posture ultra-contestataire a pour objectif de fédérer les clusters populaires, elle n’en demeure pas moins risquée pour J-L Mélenchon qui doit augmenter ses intentions de vote chez les Sociaux-Démocrates et les Progressistes s’il veut retrouver un étiage proche de son score en 2017. Le même risque existe chez Marine Le Pen. A la fois, il lui faut « tenir sa base » populaire, au sein de laquelle elle subit la concurrence d’Eric Zemmour et en même temps, il lui faut poursuivre son élargissement notamment en cas de 2nd tour en évitant de paraître trop radicale pour des clusters moins acquis à sa cause.

En somme dans ce « bloc des colères » nous retrouvons les clusters qui ont le plus soutenu les gilets jaunes et qui sont aussi ceux qui votent le moins pour Emmanuel Macron. Ce sont les clusters phares de l’opposition politique au gouvernement. Ils sont sociologiquement l’antithèse du « bloc macroniste » qui soutient largement la politique sanitaire du président et la vaccination.

A l’inverse, Emmanuel Macron rassemble derrière lui un bloc homogène électoralement qui lui permet d’être assez serein si jamais ce clivage devenait majeur au cours des prochains jours à l’occasion du « convoi de la liberté », vaste mouvement de contestation des restrictions sanitaires.

Emmanuel Macron soutenu par un bloc élitaire

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Par effet de miroir, les clusters les plus favorables à la vaccination obligatoire et à la politique sanitaire du gouvernement sont les clusters les plus diplômés, les plus aisés, les plus métropolitains, les moins radicaux, en somme ils dessinent une France qui va bien et qui s’est portée en 2017 sur les candidatures Hamon, Fillon, Macron. Sur la question de la vaccination obligatoire, on retrouve tout d’abord les Centristes qui y sont favorables à 78%, puis les Sociaux-Démocrates (71%), les Libéraux (69%), les Sociaux-Républicains (59%) et les Conservateurs (57%). Plus surprenant, les Anti-Assistanats, cluster pourtant très contestataire qui dit dans notre étude vouloir voter Le Pen à 34% et Zemmour à 20%, est majoritairement favorable à la vaccination obligatoire (58%). C’est même le 2eme cluster qui se dit « très favorable » (38%) juste après les Centristes (39%).  Ce cluster Anti-Assistanat est le moins diplômé, il est extrêmement populaire et nous devrions donc le retrouver dans le « bloc des colères » mais sa nature particulière très pro-ordre peut expliquer ce positionnement en faveur de la vaccination. C’est aussi un cluster globalement âgé. Ce cluster avait déjà manifesté un soutien relatif aux propos du Président sur sa volonté « d’emmerder les non vaccinés » : 52% se disaient favorables sur « le fond » du propos. C’est le pari d’Emmanuel Macron qu’il avait réussi lors des gilets jaunes : faire passer les revendications anti-pass et anti-vax pour des trublions, une « chienlit » pour reprendre la célèbre formule gaullienne qui nuirait une fois de plus aux commerçants, à l’économie, à l’ordre public ; des éléments auxquels sont attachés des clusters radicaux comme les Anti-Assistanat ou les Identitaires. Ce clivage sanitaire est ainsi particulièrement intéressant pour Emmanuel Macron car il ne perd pas sa base et divise celle de ses concurrents.

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La politique sanitaire du gouvernement est ainsi majoritairement soutenue dans les clusters Centristes, Sociaux-Démocrates, Libéraux, Progressistes, Eclectiques et Sociaux-Républicains. Un autre cluster décisif, celui des Conservateurs, est partagé en deux : 51% adhèrent à la politique sanitaire du gouvernement depuis 2 ans, 49% la rejettent. Ce cluster âgé, rural, de classe moyenne, penchant à droite est actuellement particulièrement indécis et se partage de manière égale entre trois candidats dans nos intentions de vote : 27% disent vouloir voter Pécresse, 24% Le Pen, et 25% Macron. Ce dernier peut donc avoir intérêt à cliver au sein de ce cluster en agitant le thème sanitaire qui n’y fait pas consensus pour y maintenir une fragmentation électorale qui complique la tâche de Valérie Pécresse. Enfin, notons que la politique sanitaire rassemble une fois de plus la gauche modérée (Sociaux-Démocrates, Progressistes) et la droite modérée (Libéraux). Emmanuel Macron parvient à rassembler ces clusters diplômés qui naguère étaient opposés et votaient pour les deux partis structurant la Ve République : le PS et LR. Alors que ces clusters sont très clivés sur les questions identitaires et culturelles, leur volonté de stabilité économique et politique, le rejet des extrêmes et de la radicalité les réunit derrière la candidature du Président. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron obtient 47% des intentions de vote des Sociaux-Démocrates, 33% des Progressistes et 34% chez les Libéraux. Emmanuel Macron parvient ainsi à empêcher une percée des candidats du pôle social-écologique (Taubira, Jadot, Hildago) et bloque, au moins pour l’instant, toute dynamique en faveur de Valérie Pécresse.

Les clusters Jadot, Roussel, Taubira, Hidalgo, Pécresse et Zemmour clivés sur la question sanitaire

Les électeurs du pôle « écolo-socialiste » sont les plus clivés sur les enjeux sanitaires. La moitié des électeurs de Jadot, Taubira et Hidalgo se disent très favorables ou assez favorables à la politique sanitaire du gouvernement. L’électorat de Fabien Roussel apparaît également clivé. L’équation est donc difficile à résoudre pour ces candidats dont les clusters constituent l’arc « naturel » du vote de gauche (Multiculturalistes, Sociaux-Démocrates, Progressistes et Solidaires) car ces clusters sont extrêmement divisés. Si les Sociaux-Démocrates et les Progressistes font partie des plus favorables à la politique sanitaire et à la vaccination, les Solidaires et les Multiculturalistes font partie des plus opposés.

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Il est donc extrêmement difficile pour eux de se positionner sur ces questions. Et l’on voit bien que ceux-ci adoptent parfois des positionnements fluctuants voire contradictoires à l’image de Christiane Taubira qui a évolué et appelle désormais sans ambiguïté à la vaccination. De même, Fabien Roussel a adopté une stratégie différenciante de Jean-Luc Mélenchon sur les questions sanitaires en encourageant à la vaccination la plus large. Son électorat selon le sondage est clivé bien que plutôt favorable à la vaccination obligatoire. Cependant, ces dernières semaines, il a réalisé une percée chez les Solidaires qui eux, sont majoritairement défavorables aux questions posées. Donc en insistant trop sur ce point dans l’optique de se différencier de Jean-Luc Mélenchon, il prend un risque vis-à-vis des Solidaires et des Multiculturalistes, soit des composantes centrales de la gauche radicale.

Eric Zemmour subit les mêmes tensions sur ces sujets. Son électorat réunit des électeurs extrêmement radicaux mais attachés à l’ordre. S’il remettait en cause le bienfondé de la vaccination et des mesures de restriction, il prendrait le risque de cliver des clusters qui y sont plutôt favorables et dans lesquels il réalise des bons scores : les Anti-Assistanat, les Identitaires et surtout les Libéraux (cluster qu’il cible en adoptant un programme assez proche de celui de François Fillon en 2017). On observe d’ailleurs qu’Eric Zemmour progresse au sein de ce cluster (autour de 20% des intentions) et une éventuelle percée dans ce cluster augmenterait considérablement ses chances d’accès au 2nd tour. Il a donc tout intérêt à ne pas se positionner sur le sanitaire. A l’inverse, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron ont tout intérêt à essayer de l’emmener sur ce clivage orthogonal parmi ses électeurs.

On voit bien que ce thème sanitaire met tous les candidats en tension vis-à-vis de leur électorat à l’exception de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. En conclusion, le clivage autour de la politique sanitaire est d’autant plus favorable pour Emmanuel Macron qu’il fédère sa coalition électorale tout en divisant potentiellement les coalitions adverses. En cela, la crise pandémique aura, jusqu’à présent, permis au Président de consolider son bloc électoral.

Jean-Yves Dormagen, Président de Cluster17

« Cluster17 doit être jugé sur ses résultats » – Le Point

Cluster17 est un projet inédit d’institut de sondages politiques. Jean-Yves Dormagen a choisi de se départir du système « particulièrement nébuleux » des panels d’internautes – appelés « access panels » dans le jargon des études statistiques. Son institut propose, lui, une segmentation de l’électorat en seize « clusters », censés représenter les seize sensibilités politique et idéologique qui composent l’électorat français.

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