L’union des droites mobilise davantage que l’union des gauches
Le vent venu d’Italie souffle-t-il sur la droite française ? La victoire de la coalition dite de « centre-droit » largement acquise grâce au score élevé de sa frange la plus radicale – celle du mouvement Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni – pourrait trouver un écho en France. Si les leaders des trois partis principaux (Rassemblement National, Les Républicains et Reconquête) ne semblent pas tous d’accord sur une telle tactique, leurs électeurs semblent quant à eux majoritairement prêts à franchir le pas.
Dans l’ensemble de la population, 38% des Français interrogés disent « souhaiter que les droites (LR, RN, Reconquête) s’unissent lors des prochaines élections ». Si logiquement les électeurs de gauche sont très opposés à cette idée, les électeurs du RN et de Reconquête s’y montrent très favorables tandis que les électeurs Républicains font face à un clivage puissant qui les traverse depuis déjà un moment.
Une telle union satisferait en premier lieu les électeurs se positionnant le plus à droite : chez les Français se plaçant à 7 et plus sur une échelle de 0 à 10 (0 étant très à gauche et 10 très à droite), l’union est plébiscitée par plus de 80% des électeurs interrogés. Ces électeurs se plaçant clairement à droite (7 sur 10 et plus) représentent 38% de notre échantillon. 22% se situent clairement à gauche (3 sur 10 et moins) et 41% se situent sur les positions centrales ou hors du clivage gauche/droite (note de 4 à 7 sur 10).
- Les électeurs d’Éric Zemmour sont les plus déterminés à s’unir
Logiquement, ce sont les électeurs d’Éric Zemmour qui sont les plus favorables à une telle option. Le leader de Reconquête a établi cette stratégie bien en amont de sa campagne présidentielle. Selon lui, le pôle identitaire qu’il tente d’incarner se situe à droite et ce camp doit s’unir s’il veut gagner les élections. Il a même revendiqué vouloir représenter un nouveau RPR, exaltant la nostalgie d’une droite qui gagnait les élections et qui assumait une ligne supposée plus radicale que la droite actuelle sur les questions de frontières et d’identité.
Ainsi, l’union des droites fait quasiment l’unanimité chez les électeurs du 1er tour d’Éric Zemmour : 94% y sont favorables dont 75% « tout à fait » favorables.
- Les électeurs de Marine Le Pen plus favorables à l’union que leur candidate
Marine Le Pen se veut quant à elle plus distante vis-à-vis de l’union de la droite. Elle a toujours réfuté un quelconque accord avec LR et même avec Reconquête, bien que celui-ci dispose d’un électorat largement compatible avec le sien. Plus globalement, le Rassemblement National dans un soucis de dédiabolisation a travaillé depuis bientôt deux décennies à s’extraire du champ de « l’extrême droite » et à endosser une posture plus transversale au-delà des clivages dans une rhétorique quasi gaulliste. Ce positionnement était également motivé par le fait que la composante la plus ouvrière de son électorat ne s’inscrit pas majoritairement dans une logique gauche/droite et provient même pour une part des rangs électoraux de la gauche. On peut considérer cette stratégie comme payante dans la mesure où son score n’a cessé de progresser grâce entre autres à la conquête de cet électorat populaire, déclassé qui lorsqu’on l’interroge refuse – pour plus de la moitié – de se situer à gauche ou à droite. Cela concerne principalement les clusters Réfractaires, Eurosceptiques et Sociaux-Patriotes. Ces trois clusters comportent beaucoup d’ouvriers, d’inactifs, d’employés, de fonctionnaires de catégorie C. Ils sont à la fois sensibles à un discours social et demandeur de plus de fermeté face à l’immigration et à la délinquance.
Néanmoins, l’offre portée par Marine Le Pen et le RN touche également un électorat plus classiquement de droite, qui se situe encore dans ce clivage et qui jusqu’à 2017 réservait majoritairement ses voix aux candidats issus de l’UMP et de LR. On les retrouve en particulier dans trois clusters au sein desquels Marine Le Pen a sensiblement progressé entre 2017 et 2022 : les Conservateurs, les Anti-Assistanat et les Identitaires.
Comme notre sondage le révèle, cet électorat plus droitier comme son électorat populaire semblent aujourd’hui s’accorder sur cette stratégie d’union. Inspirés peut-être par la récente victoire du pôle identitaire italien mais également sans doute par la réussite relative de la NUPES qui a montré que l’union pouvait parfois se faire au profit de la composante la plus radicale (en l’occurrence LFI), 85% des électeurs de Marine Le Pen au 1er tour de la dernière présidentielle se disent favorables à une union des droites lors des prochaines élections.
- Les Républicains pourront-t-ils survivre à de tels clivages au sein de leur électorat ?
L’élection présidentielle de 2022 a bien résumé les difficultés politiques des Républicains. La responsabilité supposée d’une mauvaise campagne de la part de Valérie Pécresse n’est en réalité que marginale par rapport à la puissance des clivages idéologiques qui traversent son électorat et que notre clusterisation révélait dès l’automne 2021. Les demandes hétérogènes de sa coalition électorale originelle conduisent Les Républicains à être pris en en tenaille entre le « centre macroniste », d’un côté, et le « pôle identitaire » incarné par RN et Reconquête, de l’autre. Comme le Parti Socialiste l’a fait avec la NUPES, les Républicains iront-ils jusqu’à une alliance avec le RN et Reconquête pour perdurer ?
Quoi qu’il advienne, notre sondage illustre les difficultés auxquelles font face Les Républicains : 48% des électeurs de Valérie Pécresse se disent favorables à une union des droites. Pour les 52% restants, on peut imaginer qu’une telle union serait un point de non-retour. Comment concilier dès lors ces deux faces de l’électorat républicain qui semblent évoluer en sens inverse ?
Pour mieux comprendre cet enjeu, il est utile de repartir la coalition électorale qui a porté au pouvoir Nicolas Sarkozy. Celle-ci se compose principalement de cinq clusters :
– Les Centristes : Ils considèrent le vieux clivage gauche-droite comme dépassé et ont logiquement complètement adhéré à l’offre « macroniste » : plus de 80% d’entre eux ont voté pour le Président de la République lors du 1er tour de la présidentielle. Evidemment, il n’est pas question pour eux d’envisager une union des droites et ils la rejettent quasi unanimement à presque 90%.
– Les Conservateurs : Ils continuent en partie de se placer à droite lorsqu’on les interroge et sont partagés entre Macron et Le Pen. Ces électeurs plus âgés que la moyenne vivant fréquemment en ruralité sont clivés entre une demande de stabilité institutionnelle, économique, sociale qui amène une partie d’entre eux à choisir Emmanuel Macron et une forte demande d’autorité, de sécurité, de limitation de l’immigration, autant de thèmes qui favorisent plutôt Marine Le Pen. L’union des droites aurait tendance à venir un peu fédérer ces deux demandes, la notion « d’union » qui plus est avec LR, rassurant ces électeurs. 67% d’entre eux se disent ainsi favorables à l’union.
– Les Libéraux : Ils composent un électorat âgé, aisé et diplômé en forte demande de stabilité également. Sur le plan des valeurs, comme les autres clusters chrétiens plutôt âgés, ils adoptent des positions marquées par le conservatisme en matière sociétale et par le rejet du multiculturalisme. Très attaché à l’UE et à l’économie de marché, ils ont voté « utile » et ont choisi de se positionner significativement derrière le Président de la République en 2022, après avoir été le cœur de l’électorat de François Fillon en 2017. S’ils ont voté à 46% pour Emmanuel Macron, 20% sont, malgré tout, restés « fidèles » à l’offre de droite et ont voté en faveur de Valérie Pécresse. 11% ont choisi Éric Zemmour et 15% se sont tournés vers Marine Le Pen. Au sein de ce cluster, on se dit à 61% en faveur d’une union à l’italienne. C’est beaucoup pour un cluster qui rejette les solutions radicales et le « populisme ». Cela montre la force et la prééminence de la demande identitaire et sécuritaire y compris dans un cluster qui se montrait, jusqu’à présent, plus « modéré » dans son expression politique. A l’instar de Georgia Meloni, pour conquérir ce cluster, une union de la droite devra donner des gages sur le terrain de l’économie et se montrer favorable au marché, à la libre-concurrence et au maintien de la France au sein de l’UE.
– Les Anti-Assistanat : Souvent retraités ou salariés du privé, c’est aussi le groupe qui comprend le plus de petits patrons, d’artisans et de commerçants. Sur le terrain idéologique les Anti-Assistanat sont hostiles aux aides sociales, très identitaires et demandeurs d’ordre et de sécurité. Ils se sont reconnus dans le Sarkozy de 2007 qui promettait de travailler plus pour gagner plus et de passer le « kärcher » dans les banlieues. Ils ont depuis quitté les rivages de LR et ont largement voté pour Marine Le Pen et le RN lors des derniers scrutins. S’ils ont toutes les caractéristiques de l’électorat qui a plébiscité Giorgia Meloni en Italie, ils ne sont pour l’instant « que » 58% à se déclarer favorables à l’union des droites.
– Les Identitaires : Comme leur nom l’indique, ces électeurs se caractérisent par leur radicalité sur les questions d’immigration, de sécurité et d’islamisme. Comme les Anti-Assistanat, une partie notable continue de se positionner à droite dans le clivage gauche-droite, si bien que de nombreux Identitaires avaient choisi François Fillon en 2017. Mais comme les Anti-Assistanat ils ont pris fait et cause pour le RN en 2022, malgré la concurrence rude exercée par Éric Zemmour durant toute la campagne. Ce n’est que dans les dernières semaines que Marine Le Pen a affirmé son leadership au sein de ce cluster. Sans surprise, ils sont 83% à soutenir l’union des droites.
En somme, la demande d’ordre, de fermeté vis-à-vis de l’islamisme, de lutte contre l’immigration, de rejet du multiculturalisme, fédère l’ensemble des clusters de droite ainsi que les clusters populaires pro-RN. Si les divergences existent, en particulier concernant le rapport au système et les questions économiques, les convergences semblent aujourd’hui les plus fortes et l’on constate que les clusters de la droite traditionnelle et des partis identitaires sont majoritairement favorables à une union.
Un socle de gauche restreint
Parmi les 22% de Français interrogés se situant à gauche (note de 3 sur 10 et moins), l’union fait toujours recette. 80% d’entre eux se déclarent favorable à une union du PCF, du PS, de LFI et d’EELV, des partis qui se sont déjà mis d’accord aux dernières élections législatives dans le cadre de la NUPES. Ce sont les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui se montrent les plus favorables à l’union de la gauche, à 90%. Les électorats de Roussel, Hidalgo et Jadot sont partagés en deux blocs.
- Une assiette électorale très resserrée
Cependant, l’enjeu principal pour la gauche n’est pas tant l’union de son électorat que la taille de cet électorat. En l’espèce, seuls 22% de Français – nous l’avons dit – se déclarent à gauche. Deux clusters seulement se disent majoritairement de gauche (6 pour la droite !) : Les Multiculturalistes et les Solidaires, deux clusters anti-élites et très à gauche économiquement, qui ont plébiscité Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Logiquement, ce sont ces deux clusters qui se disent le plus favorables à l’union de la gauche à 93% et 70%.
Troisième cluster à avoir massivement choisi Jean-Luc Mélenchon et la NUPES en 2022, Les Révoltés, ne se positionnent pas majoritairement à gauche mais optent pourtant systématiquement pour des offres issues de la gauche aux élections. Nombre d’entre eux sont issus de l’immigration et habitent dans les quartiers populaires. Ces électeurs peu politisés sont avant tout des « antisystème » qui prennent fait et cause pour le « peuple » face aux « élites ».
- Les clusters de centre-gauche rejettent l’union
Les Sociaux-Démocrates et les Progressistes sont deux clusters contenant beaucoup d’électeurs aisés, modérés sur l’axe économique et social et rétifs au « populisme ».
Ces deux clusters se positionnent majoritairement au centre ou centre gauche : un électeur sur deux au sein de ces clusters se placent à 4 ou 5 sur 10. Ces clusters plus centristes qui pourraient se tourner vers une union de la gauche la rejettent dans une part importante, et ce d’autant plus dans la mesure où sa composante principale – La France Insoumise – est aussi la plus « radicale ». Seuls 37% des Sociaux-Démocrates et 51% des Progressistes déclarent être favorables à l’union de la gauche.
Lors des derniers scrutins, ces deux clusters ont ainsi été partagés entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon puis entre la majorité présidentielle et la NUPES. Ils ont également voté substantiellement pour des offres « Divers gauche », démontrant l’insatisfaction politique de ces clusters qui ne se reconnaissent pleinement ni dans la NUPES ni dans la ligne portée par le Président de la République. Convaincre ces deux clusters de centre-gauche paraît indispensable pour la gauche si elle souhaite apercevoir un horizon majoritaire.
- Les clusters populaires ni de droite ni de gauche penchent plutôt du côté identitaire
Quant aux clusters populaires Réfractaires et Sociaux-Patriotes, ils se positionnent très largement entre 4 et 6 sur 10, démontrant leur décalage vis-à-vis du clivage gauche/droite. Ces deux clusters comportent beaucoup d’ouvriers et d’employés. Leur système d’opinion est assez similaire : ils sont du côté du salariat et favorables à la taxation des plus riches, « antisystème » et dans des degrés différents, favorables à davantage de fermeté face à l’immigration. Pour toutes ces raisons, ils se sont tournés vers Marine Le Pen et le RN. Pour autant, ils ont opté pour Jean-Luc Mélenchon et la NUPES en deuxième choix démontrant les minces possibilités pour la gauche de concurrencer le RN sur ces segments.
Toutefois, ces deux clusters se positionnent davantage pour une union des droites que pour une union des gauches, ce qui laisse à penser qu’en cas d’unification des blocs, l’écart se creuserait au profit de l’union des droites, en particulier si le Rassemblement National en était le moteur principal.