Emmanuel Macron : président réformateur et protecteur ?
Nous avons testé avec notre partenaire Marianne l’opinion des français sur quelques phrases emblématiques prononcées par le Président Macron au cours du quinquennat. Le premier enseignement est que ces phrases, préparées ou non, ont clivé l’opinion, ce qui n’est pas négatif lorsque ces clivages se font au bénéfice du président et qu’il permette de coaliser ses clusters cibles. A l’inverse, elles peuvent coaliser les colères contre lui lorsque ses clusters rejoignent l’avis des clusters d’opposition. C’est le cas de la phrase prononcée face à un jeune chômeur qui disait ne pas trouver d’emploi dans son domaine de prédilection. Le président avait répondu « Moi, je traverse la rue et je vous en trouve un de travail ».
Cette affirmation est rejetée massivement dans l’opinion, par tous les clusters, y compris les clusters de prédilection d’Emmanuel Macron. On peut penser que cette phrase renforce l’image d’un président « déconnecté », alors que le chômage sévit et peut concerner de nombreuses familles dans le pays. Seuls les Libéraux, cluster phare de la droite de gouvernement et les Centristes éprouvent un accord très relatif, autour de 48%. Cela repositionne le Président « à droite » et remet de la latéralité droite-gauche dans le débat, ces deux clusters étant historiquement les pourvoyeurs principaux des votes UMP
et LR. Les autres clusters populaires ou de gauche modérée rejettent massivement cette affirmation, remettant ainsi en cause l’équilibre du Président qui repose sur la transversalité.
Les deux autres affirmations testées dans notre étude sont davantage favorables aux propos du Président de la République. Il retrouve cet équilibre entre des clusters de gauche modérée, de droite modérée et des clusters conservateurs, voire populaires. Ainsi, l’affirmation selon laquelle « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux » est approuvée majoritairement dans l’opinion.
Cependant, elle participe également à une relatéralisation du clivage « gauche-droite ». Si ces phrases ont pour but de déstabiliser la droite, alors l’objectif est atteint. En effet, les clusters Libéraux, Conservateurs, Anti-Assistanat, Identitaires, Réfractaires et Conservateurs sont largement favorables à cette affirmation. Ces clusters forment l’assise à la fois du vote LR mais également du RN et d’Eric Zemmour. Nous ne sommes pas surpris que les Libéraux (cluster ayant voté Fillon à 60% en 2017) et les Anti-assistanat plébiscitent cette dénonciation d’un Etat qui engraisserait des « profiteurs », des « assistés », tout ce qui peut être sous-entendu dans une telle phrase.
Les électeurs Pécresse, Le Pen et Zemmour sont mêmes plus favorables aux propos du président que ses propres électeurs. Cette position peut avoir un certain avenir. Si le Président voulait affaiblir ses trois principaux poursuivants ; cliver sur le sujet des minima sociaux pourrait produire un effet sur leurs électeurs et il pourrait espérer ramener à lui certains d’entre eux. Notons que la compétition la plus rude se joue dans ces clusters indécis pour Macron, Pécresse, Le Pen et Zemmour : les Conservateurs, les Anti-assistanat et dans une moindre mesure les Libéraux. Ils sont tous les quatre en grande concurrence dans ces clusters qui votent traditionnellement à droite. Il y a donc des marqueurs et des propositions à formuler si l’on veut « tuer le match » dans ces clusters. Ce thème de l’assistanat semble faire consensus, ce qui n’est pas simple au sein de clusters qui ne sont pas toujours si homogènes sur les questions économiques. Notons que cette affirmation a également la faveur de trois autres clusters dans lesquels le Président est apprécié : les Centristes (coeur de son électorat), les Sociaux-Républicains et les Eclectiques. A l’inverse, les clusters de « gauche » modérée qui ont participé massivement à l’élection du Président en 2017 et qui lui restent pour le moment fidèles dans nos baromètres d’intentions de vote marquent un désaccord franc avec ces propos. Les Sociaux-Démocrates et les Progressistes sont ainsi 70% et 72% à être en désaccord. Ces clusters diplômés sont favorables à une économie de marché, mais également favorables à la régulation de l’économie et à la redistribution. La concurrence est certes plus faible pour le Président de ce côté-ci de l’électorat ; les candidatures Jadot, Hidalgo et Taubira étant à la peine. Cependant, si le candidat Macron prononçait des propos similaires durant la campagne, il leur
laisserait la possibilité de se refaire un matelas, alors qu’il est estimé actuellement à 47% chez les Sociaux-Démocrates et 33% chez les Progressistes. Le rejet massif de cette prise de position par l’électorat Jadot est un signal important, y compris dans une optique de 2nd tour pour le Président de la République qui aura besoin de ces électeurs s’il se retrouvait face à un candidat de droite ou d’extrême droite.
Enfin, nous avons testé l’affirmation « Les français sont des Gaulois réfractaires au changement ». Cette question est celle qui fait le plus ressurgir le « bloc Macron ». En effet, tous les clusters de sa coalition approuvent majoritairement cette affirmation : Sociaux-Démocrates, Progressistes, Centristes, Sociaux-Républicains, Libéraux. Ainsi 86% de ses électeurs se disent d’accord avec lui. Parallèlement, à l’instar de sa politique sanitaire, cette phrase d’E. Macron scinde l’électorat des autres candidats en deux. 64% des électeurs de V. Pécresse sont d’accord, 56% des électeurs de Yannick Jadot et même 50% des électeurs d’E. Zemmour. C’est donc une phrase « efficace » en ce qu’elle permet de fédérer un électorat de façon cohérente « et en même temps » d’envoyer des signaux aux électeurs indécis ou ayant l’intention de voter pour ses concurrents.
Alors que l’affirmation du président sur le « pognon de dingue » renvoie l’image d’un président libéral, celle-ci donne l’image d’un président réformateur qui veut faire évoluer la France. Alors que la première réinstaure le clivage « droite-gauche », la seconde le traverse et place le clivage sur « conservatisme vs réformisme », beaucoup plus favorable pour Emmanuel Macron.
Les Français ne semblent pas avoir mal pris cette affirmation bien qu’il convient cependant d’observer avec prudence ces réponses. En effet, on peut être d’accord avec ce propos sans pour autant souhaiter que les Gaulois ne soient plus « réfractaires ».
Enfin, la mise en place du « quoiqu’il en coûte » a certainement nuancé l’image que se font les français du Président. Alors que la première mi-temps du quinquennat à l’image de ces phrases fortes était placée sous le sceau de réformes « libérales », la seconde mi-temps, jouée face à la crise Covid a remis l’Etat-providence au centre. L’image d’Emmanuel Macron s’en trouve de fait, bouleversée. C’est sur cet équilibre entre réformes pro-entreprises et protections étatiques que la coalition d’Emmanuel Macron pourrait se fédérer à nouveau en avril 2022.