16 avril 2022

Baromètre hebdomadaire S15 : Présidentielle 2022

Emmanuel Macron d’une courte tête : pourquoi les scores sont-ils si serrés ?

Dans notre enquête réalisée entre le 13 et le 14 avril sur un échantillon de 3 329 électeurs, Emmanuel Macron dispose d’une courte avance sur Marine Le Pen : 53% pour le Président, 47% pour la candidate du RN. Pour la troisième accession du Rassemblement National au 2nd tour en 20 ans, cette fois-ci semble celle de la banalisation, d’une normalisation définitive de sa progression dans le champ institutionnel. Le Président de la République ne se trompe pas lorsqu’il affirme qu’il n’y a plus de « front républicain ».

La gauche radicale en partie spectatrice de ce 2nd tour

Ce front républicain émergeant dans les années 90, lorsque le parti de Jean-Marie Le Pen commençait à conquérir des villes puis en 2002 lors de son accession au 2nd tour, tenait par la mobilisation des électeurs de gauche.  De tous les électeurs de gauche, des plus modérés aux plus radicaux. En 2017 déjà, ce front semblait s’effriter. Aujourd’hui, notre enquête montre la rupture définitive du front républicain. Les clusters de gauche radicale qui ont largement voté Jean-Luc Mélenchon sont à l’heure actuelle spectateurs du 2nd tour. Voire même, pour certains d’entre eux, ils hésitent entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

En 2002, les étudiants faisaient grève dans les facs pour « emmerder le Front National ». Aujourd’hui la Sorbonne est occupée par des étudiants qui portent le slogan « Ni Macron ni Le Pen ». Ce qui est frappant c’est que Marine Le Pen ne fait plus peur. Ainsi une partie de la gauche est démobilisée dans cet entre-deux-tours et nombre de ces électeurs pourraient s’abstenir, renvoyant les deux protagoniste dos-à-dos. Est-ce la naissance d’un bloc « anti-Macron » ? C’est-à-dire d’une alliance objective similaire à celle du référendum de 2005 quand la gauche populaire avait voté avec les souverainistes de droite ?

Symbole de cette démobilisation, les Multiculturalistes, les Révoltés et les Solidaires qui ont voté à près de 70% pour Jean-Luc Mélenchon dimanche dernier comportent entre un tiers et la moitié d’électeurs qui pensent que « les choses resteront à peu près les mêmes quel que soit le Président élu » quand dans le même temps la gauche modérée (Les Sociaux-Démocrates et les Progressistes) qui a placé Macron en tête devant Mélenchon se sent plus concernée et déclare davantage vouloir voter pour Emmanuel Macron au 2nd tour. C’est avant tout grâce à cette gauche éduquée et diplômée que le « barrage » peut encore tenir, même très affaibli, face au RN.

Le phénomène nouveau de ce 2nd tour par rapport à 2017 c’est la progression de Marine Le Pen dans les clusters de gauche « mélenchonniste ». Il y a cinq ans, un électeur insoumis se posait principalement la question : « abstention ou Macron ? ». Aujourd’hui pour une part significative la question est « abstention, Macron ou Le Pen ? ». C’est notamment le cas dans les clusters Solidaires et Révoltés qui sont deux clusters populaires, le premier étant plutôt rural et âgé alors que le second est jeune, non diplômé, et plutôt urbain ou péri-urbain. Dans ces deux clusters, Marine Le Pen est estimée respectivement à 39% et 52% des suffrages exprimés. Un des principaux facteurs explicatifs est que Marine Le Pen colle davantage aux opinions de ces clusters sur deux des trois clivages fondamentaux de notre clusterisation : sur le clivage peuple/élite, elle incarne le dégagisme envers un supposé « système ». De même sur le clivage économique, elle semble mieux représenter les électeurs populaires de ces clusters de gauche, très majoritairement employés et ouvriers quand Emmanuel Macron incarne pour de nombreux électeurs le « président des riches ». A l’inverse chez les Multiculturalistes, le clivage identitaire demeure déterminant. Pour eux, l’alternative est donc entre non-choix (abstention ou votes blancs et nuls) ou Macron. Pour autant, Emmanuel Macron ne parvient pas à les mobiliser alors qu’ils détiennent en partie les clés de ce 2nd tour. 63% des Multiculturalistes excluent pour l’instant d’aller voter.

Les clusters de l’ancienne coalition de droite sont très clivés 

De l’autre côté de feu le « front républicain », l’horizon n’est pas beaucoup plus dégagé pour Emmanuel Macron. Dans l’ancienne coalition de droite républicaine qui avait porté Nicolas Sarkozy au pouvoir et voté largement François Fillon en 2017, les électeurs sont aujourd’hui très clivés.

Les Conservateurs qui constituent un cluster âgé, rural, très favorable à la stabilité et à ce que les choses continuent sans grand changement se portent aujourd’hui majoritairement sur Le Pen dans ce duel : 63% vs 37%. C’est une forme de « révolution » culturelle : L’ex-candidate du Frexit qui faisait peur à la petite droite épargnante, rurale et retraitée semble aujourd’hui être devenue un débouché politique pour ce segment en demande d’ordre. Toutefois, ce cluster, très volatil reste à convaincre et pourrait changer d’avis si jamais la candidate RN montrait des signes d’incompétence ou de radicalité trop marquée. Chez les Conservateurs, le débat d’entre-deux-tours et le commentaire médiatique qui en sera fait pourrait avoir une importance particulière.

Chez les Libéraux, qui constituent le cœur de la droite élitaire (60% avaient voté Fillon en 2017), très attachés au libéralisme économique, à l’UE, au rayonnement culturel de la France, Emmanuel Macron ne fait pas l’unanimité. Un tiers d’entre eux disent vouloir voter Le Pen dimanche prochain.

On peut l’interpréter de deux façons : la première c’est que Marine Le Pen a réussi en partie à se crédibiliser en montrant un visage moins radical. La seconde c’est que ces clusters de droite modérée sont tout de même radicaux sur le clivage identitaire. Clivage dans lequel Marine Le Pen est mieux-disante incarnant un positionnement hostile à l’immigration et à l’islam. La prééminence de ce clivage pour une partie sensible de l’électorat de droite permet d’ailleurs à Le Pen de maintenir une base extrêmement solide dans deux autres clusters ayant porté Nicolas Sarkozy au pouvoir : 70% chez les Anti-Assistanat et 94% chez les Identitaires.

En conclusion, le positionnement structural de Macron est particulièrement compliqué. Le « en même temps » est plus dur à tenir qu’il y a cinq ans. Sur l’économique et l’identitaire, s’il veut tenter de mobiliser l’électorat mélenchonniste, il risque de trop se découvrir dans la droite conservatrice et prend le risque de laisser une partie de cet électorat basculer en faveur de Marine Le Pen.

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