Enquête : Les français et la guerre en Ukraine


Étude réalisée par Cluster17 auprès d’un échantillon de 1 121 personnes inscrites sur les listes électorales issu d’un échantillon de 1 154 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’échantillon est réalisé selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, du type de communes et des régions de résidence. Questionnaire auto-administré en ligne. Interviews réalisées entre le 26 et le 27 février 2022. Les répondants ne sont pas rémunérés

Notre sondage réalisé après l’intervention des troupes russes en Ukraine permet de mieux comprendre les réactions de l’opinion au coup de force militaire qui se déroule actuellement aux frontières de l’Union Européenne. Plusieurs résultats méritent d’être soulignés.

Dans leur très grande majorité les Français ont une opinion sur les évènements ukrainiens et jugent « illégitime » l’intervention de la Russie.

Alors que notre terrain d’enquête a été réalisé deux jours seulement après le début de l’offensive russe, les Français avaient déjà une opinion sur les évènements ukrainiens : à la question de savoir si « l’offensive militaire russe est légitime », seuls 9% d’entre eux se déclarent « sans opinion », un chiffre particulièrement bas pour une question relevant de problématiques internationales. Ce premier résultat confirme que la guerre en Ukraine est suivie avec attention par une part significative de la population. Sans surprise, l’offensive militaire russe est perçue comme « illégitime » par une très large majorité : 78% contre 13% qui la considèrent « légitime » et 9% de sans opinion.

L’analyse par électorat révèle que ce sont les électeurs déclarant des intentions de vote en faveur de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour et, dans une moindre mesure, de Jean-Luc Mélenchon qui sont les moins unanimes dans la réprobation de l’intervention russe. Ainsi, 24% des électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon et 39% de ceux de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour se déclarent « sans opinion » ou considèrent « légitimes » l’offensive militaire actuellement en cours.

Plus des trois quarts des Français sont favorables à « l’accueil des populations qui fuient l’Ukraine »

C’est là un résultat important car il exprime un retournement de l’opinion sur un sujet habituellement bien plus clivant. Ainsi, le 5 février dernier, interrogés sur la question de savoir s’il fallait « accueillir les migrants fuyant les zones de guerre », sans référence aucune bien sûr au contexte ukrainien, 41% des Français se déclaraient défavorables. Trois semaines plus tard, dans le contexte de guerre en Ukraine, ils ne sont plus que 19% à se dire défavorables à « l’accueil des populations qui fuient l’Ukraine » contre 77% qui y sont favorables. Ce rapport de forces très favorable à l’accueil de populations ukrainiennes manifeste sans doute l’émotion éprouvée par une large partie de la population face à une guerre qui se joue aux portes de l’UE, sur le sol européen.

Tous les électorats, sans exception, sont majoritairement favorables à l’accueil des Ukrainiens, mais les différences sont néanmoins significatives à six semaines de l’élection présidentielle. Ce sont les électeurs de la gauche écologiste et sociale-démocrate ainsi que ceux d’Emmanuel Macron qui y sont, de loin, les plus favorables.

La situation des candidatures de droite et identitaires est, sur ce point, particulièrement intéressante : alors que les électeurs potentiels de Valérie Pécresse sont dans leur très grande majorité (81%) favorables à cet accueil, ceux de Marine Le Pen et, plus encore, d’Eric Zemmour sont, en revanche, profondément divisés. Ce sujet clive même presque parfaitement l’électorat potentiel du candidat de Reconquête : 51% de « favorables » contre 45% de « défavorables » (et 5% de « sans opinion »). Autant dire, que cet enjeu devrait être plus difficile à traiter par les deux candidats identitaires, tant il divise leurs électeurs, a fortiori si la situation devait prendre un cours de plus en plus tragique en Ukraine.

Les deux tiers des Français sont défavorables à « l’engagement de troupes françaises dans la défense de l’Ukraine ».

Comme dans les autres grandes nations européennes, à ce stade du conflit, l’opinion publique est défavorable à un engagement militaire direct : 66% y sont défavorables contre 27% favorables et 7% de sans opinion. Le pays n’est pour l’instant pas disposé à voir des troupes françaises combattre sur le sol ukrainien.

Sur ce point également, des différences sont observables par électorats. Ce sont les électeurs potentiels d’Emmanuel Macron, avec ceux de Christiane Taubira, qui y sont les plus favorables (37%), alors qu’à l’inverse les électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon et d’Eric Zemmour y sont les plus défavorables (20% seulement de favorables).

Un conflit qui pourrait mettre les enjeux militaires au centre de la campagne.

Deux des questions que nous avons posées indiquent que les questions militaires pourraient gagner de la centralité dans le cadre d’une campagne électorale aujourd’hui largement surdéterminée voire occultée par la guerre en Ukraine. Ainsi, près des deux tiers des Français (62%) se déclarent « favorables » à « augmenter de manière prioritaire le budget de l’armée française ». Une proportion encore plus élevée (67%) se déclare « favorable » à la « création d’une armée européenne ». Un tel résultat sur un enjeu qui touche au cœur du pouvoir le plus régalien manifeste à quel point l’UE est parvenue à s’imposer comme une échelle pertinente en matière de défense pour de nombreux citoyens français.

L’analyse des réponses par électorats laisse apparaître de potentiels lignes de clivages, donc une possibilité de politisation de ces questions dans le cadre de l’actuelle élection présidentielle. « Augmenter prioritairement le budget de l’armée française » ne fait réellement consensus que parmi les électeurs d’Eric Zemmour et, dans une moindre mesure, parmi ceux de Valérie Pécresse et de Marine Le Pen. C’est donc une thématique propre à fédérer des électorats orientés à droite ou sensibles aux thématiques nationalistes. Parmi les électeurs potentiels des candidats de gauche, le soutien à cette proposition est nettement minoritaire. La perspective de création d’une armée européenne clive selon des logiques différentes. Cette perspective fait tout particulièrement consensus au sein d’un arc qui va de la gauche sociale-démocrate et écologiste à la candidate républicaine en passant par le Président de la République. Elle divise, en revanche, profondément et avec une forte intensité, les électorats de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Eric Zemmour qui n’ont donc aucun intérêt à voir une telle thématique émerger lors des 6 dernières semaines de campagne.

Emmanuel Macron jugé comme étant « le plus compétent pour gérer la crise ukrainienne ».

 Parmi les candidats à la présidentielle, Emmanuel Macron est jugé par 33% des électeurs comme étant « le plus compétent pour gérer la crise ukrainienne ». « Aucun » des candidats est la seconde réponse la plus citée : par 26% des sondés. Suivent ensuite Eric Zemmour (11%), Jean-Luc Mélenchon (10%) et Marine Le Pen (8%). Ces résultats apportent plusieurs indications. Ils révèlent que le Président de la République est considéré comme le « plus compétent » par la quasi-totalité de ses propres électeurs potentiels (96%), signe sans doute que cet attribut de « compétence » est un élément important, si ce n’est décisif de leur soutien. Mais ils révèlent également qu’Emmanuel Macron est considéré comme le plus « compétent » y compris par des électeurs qui n’affichent pas une intention de vote en sa faveur : un tiers des électeurs d’Anne Hidalgo et de Valérie Pécresse et plus encore, 42% des électeurs de Yannick Jadot. Réciproquement, seuls les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et d’Eric Zemmour considèrent majoritairement leur candidat comme étant le plus compétent pour gérer la crise en Ukraine. De tels résultats indiquent que le Chef de l’Etat semble renforcé, a minima en termes d’image, par la situation de guerre aux portes de l’UE et – un peu à la manière de ce qui s’est produit durant la pandémie de la COVID – est perçu comme mieux à même que ses principaux concurrents de faire face à la situation de crise. Il s’agit là pour lui d’un avantage non-négligeable au sein d’un espace électoral qui va de la social-démocratie à la droite libérale et pro-Union Européenne.

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