Sur la politique sanitaire : une France coupée en deux
Dans notre étude réalisée en partenariat avec Marianne du 1er au 5 février, nous avons interrogé les français sur la politique sanitaire du gouvernement. A l’image de notre étude qui testait la réaction de l’opinion aux propos tenus par le Président de la République sur sa volonté « d’emmerder » les non vaccinés, nous constatons que la politique sanitaire suscite l’émergence de deux blocs quasiment équipotents : 44% des sondés soutiennent la politique sanitaire du gouvernement et 48% se dit favorable à l’obligation vaccinale quand l’autre moitié la rejette fermement. Cependant, 69% des français, soit une large majorité de français se déclare favorable à l’arrêt du port du masque. Ce clivage puissant autour de la politique sanitaire recoupe un clivage peuple/élite très marqué. Les clusters les plus diplômés sont pro-vaccins et plus favorables aux mesures prises par le gouvernement, tandis que les clusters populaires non diplômés s’opposent radicalement à la vaccination obligatoire et à la politique sanitaire menée depuis deux ans. Nous retrouvons ainsi logiquement cette opposition au niveau de l’électorat. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen sont les plus opposés aux mesures gouvernementales. L’électorat d’Emmanuel Macron adhère quant à lui massivement aux mesures prises. Les électeurs de l’espace « écolo-social-démocrate » – Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Christiane Taubira – sont extrêmement clivés, de même que les électeurs de Valérie Pécresse et dans une moindre mesure ceux d’Eric Zemmour.
L’émergence d’un « bloc des colères »
Notre segmentation par cluster permet d’observer dans le détail comment s’articule ce qu’on pourrait appeler un « bloc des colères ». Nous observons comment le thème vaccinal unit les clusters de ce bloc et les met d’accord sur un point : l’opposition radicale à Emmanuel Macron. Nous voyons ainsi se dessiner un arc contestataire qui rassemble principalement six de nos seize clusters : les Multiculturalistes, les Solidaires, les Révoltés, les Réfractaires, les Eurosceptiques et les Sociaux-Patriotes. Ces six clusters ont en commun d’être des clusters populaires ou de classe moyenne inférieure, d’avoir soutenu massivement les gilets jaunes en 2019, de s’abstenir plus que les autres et de s’orienter principalement vers deux candidatures : celle de Jean-Luc Mélenchon (pour les Multiculturalistes, Solidaires, Révoltés) et Marine Le Pen (pour les clusters Réfractaires, Eurosceptiques et Sociaux-Patriotes). Ces clusters ont également en commun d’être les plus réfractaires au libéralisme et de façon générale au « système » incarné par des politiciens dont ils se méfient.
A la question : « Êtes-vous pour ou contre la vaccination obligatoire », nous retrouvons donc en tête les Sociaux-Patriotes qui se disent très défavorables à 64% et assez défavorable à 15% (un rejet qui s’élève au total à 79%). Dans la même étude, 40% des électeurs de ce cluster disent avoir l’intention de voter Marine Le Pen et 24% pour Eric Zemmour. Le deuxième cluster le plus défavorable à la vaccination est le cluster des Révoltés : 64% se disent très défavorables à cette mesure, 13% se disent assez défavorables. Dans notre étude, 48% des électeurs de ce cluster très populaire et antisystème disent vouloir voter pour Jean-Luc Mélenchon en avril 2022. Les clusters les plus opposés à la vaccination obligatoire sont ensuite les Solidaires (65%), les Eurosceptiques, les Réfractaires (64%), et les Multiculturalistes (61%).
Pour autant, cette convergence est circonstanciée à la thématique sanitaire : un électeur Solidaire ne votera pas pour Marine Le Pen, de même qu’un Social-Patriote a très peu de chance de voter pour un candidat de gauche, bien que Jean-Luc Mélenchon ait réussi à faire des scores intéressants dans ces trois clusters lepénistes en 2017.
Notre étude montre que l’électorat le plus radical sur la question vaccinale est celui de Jean-Luc Mélenchon dont 75% d’électeurs sont défavorables à la vaccination obligatoire. On comprend alors pourquoi le leader la France Insoumise tient des propos très clivants sur la politique sanitaire. Cela explique également pourquoi Adrien Quatennens a encouragé ses militants sur France Info jeudi 10 février à participer au « convoi de la liberté ». Si cette posture ultra-contestataire a pour objectif de fédérer les clusters populaires, elle n’en demeure pas moins risquée pour J-L Mélenchon qui doit augmenter ses intentions de vote chez les Sociaux-Démocrates et les Progressistes s’il veut retrouver un étiage proche de son score en 2017. Le même risque existe chez Marine Le Pen. A la fois, il lui faut « tenir sa base » populaire, au sein de laquelle elle subit la concurrence d’Eric Zemmour et en même temps, il lui faut poursuivre son élargissement notamment en cas de 2nd tour en évitant de paraître trop radicale pour des clusters moins acquis à sa cause.
En somme dans ce « bloc des colères » nous retrouvons les clusters qui ont le plus soutenu les gilets jaunes et qui sont aussi ceux qui votent le moins pour Emmanuel Macron. Ce sont les clusters phares de l’opposition politique au gouvernement. Ils sont sociologiquement l’antithèse du « bloc macroniste » qui soutient largement la politique sanitaire du président et la vaccination.
A l’inverse, Emmanuel Macron rassemble derrière lui un bloc homogène électoralement qui lui permet d’être assez serein si jamais ce clivage devenait majeur au cours des prochains jours à l’occasion du « convoi de la liberté », vaste mouvement de contestation des restrictions sanitaires.
Emmanuel Macron soutenu par un bloc élitaire
Par effet de miroir, les clusters les plus favorables à la vaccination obligatoire et à la politique sanitaire du gouvernement sont les clusters les plus diplômés, les plus aisés, les plus métropolitains, les moins radicaux, en somme ils dessinent une France qui va bien et qui s’est portée en 2017 sur les candidatures Hamon, Fillon, Macron. Sur la question de la vaccination obligatoire, on retrouve tout d’abord les Centristes qui y sont favorables à 78%, puis les Sociaux-Démocrates (71%), les Libéraux (69%), les Sociaux-Républicains (59%) et les Conservateurs (57%). Plus surprenant, les Anti-Assistanats, cluster pourtant très contestataire qui dit dans notre étude vouloir voter Le Pen à 34% et Zemmour à 20%, est majoritairement favorable à la vaccination obligatoire (58%). C’est même le 2eme cluster qui se dit « très favorable » (38%) juste après les Centristes (39%). Ce cluster Anti-Assistanat est le moins diplômé, il est extrêmement populaire et nous devrions donc le retrouver dans le « bloc des colères » mais sa nature particulière très pro-ordre peut expliquer ce positionnement en faveur de la vaccination. C’est aussi un cluster globalement âgé. Ce cluster avait déjà manifesté un soutien relatif aux propos du Président sur sa volonté « d’emmerder les non vaccinés » : 52% se disaient favorables sur « le fond » du propos. C’est le pari d’Emmanuel Macron qu’il avait réussi lors des gilets jaunes : faire passer les revendications anti-pass et anti-vax pour des trublions, une « chienlit » pour reprendre la célèbre formule gaullienne qui nuirait une fois de plus aux commerçants, à l’économie, à l’ordre public ; des éléments auxquels sont attachés des clusters radicaux comme les Anti-Assistanat ou les Identitaires. Ce clivage sanitaire est ainsi particulièrement intéressant pour Emmanuel Macron car il ne perd pas sa base et divise celle de ses concurrents.
La politique sanitaire du gouvernement est ainsi majoritairement soutenue dans les clusters Centristes, Sociaux-Démocrates, Libéraux, Progressistes, Eclectiques et Sociaux-Républicains. Un autre cluster décisif, celui des Conservateurs, est partagé en deux : 51% adhèrent à la politique sanitaire du gouvernement depuis 2 ans, 49% la rejettent. Ce cluster âgé, rural, de classe moyenne, penchant à droite est actuellement particulièrement indécis et se partage de manière égale entre trois candidats dans nos intentions de vote : 27% disent vouloir voter Pécresse, 24% Le Pen, et 25% Macron. Ce dernier peut donc avoir intérêt à cliver au sein de ce cluster en agitant le thème sanitaire qui n’y fait pas consensus pour y maintenir une fragmentation électorale qui complique la tâche de Valérie Pécresse. Enfin, notons que la politique sanitaire rassemble une fois de plus la gauche modérée (Sociaux-Démocrates, Progressistes) et la droite modérée (Libéraux). Emmanuel Macron parvient à rassembler ces clusters diplômés qui naguère étaient opposés et votaient pour les deux partis structurant la Ve République : le PS et LR. Alors que ces clusters sont très clivés sur les questions identitaires et culturelles, leur volonté de stabilité économique et politique, le rejet des extrêmes et de la radicalité les réunit derrière la candidature du Président. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron obtient 47% des intentions de vote des Sociaux-Démocrates, 33% des Progressistes et 34% chez les Libéraux. Emmanuel Macron parvient ainsi à empêcher une percée des candidats du pôle social-écologique (Taubira, Jadot, Hildago) et bloque, au moins pour l’instant, toute dynamique en faveur de Valérie Pécresse.
Les clusters Jadot, Roussel, Taubira, Hidalgo, Pécresse et Zemmour clivés sur la question sanitaire
Les électeurs du pôle « écolo-socialiste » sont les plus clivés sur les enjeux sanitaires. La moitié des électeurs de Jadot, Taubira et Hidalgo se disent très favorables ou assez favorables à la politique sanitaire du gouvernement. L’électorat de Fabien Roussel apparaît également clivé. L’équation est donc difficile à résoudre pour ces candidats dont les clusters constituent l’arc « naturel » du vote de gauche (Multiculturalistes, Sociaux-Démocrates, Progressistes et Solidaires) car ces clusters sont extrêmement divisés. Si les Sociaux-Démocrates et les Progressistes font partie des plus favorables à la politique sanitaire et à la vaccination, les Solidaires et les Multiculturalistes font partie des plus opposés.
Il est donc extrêmement difficile pour eux de se positionner sur ces questions. Et l’on voit bien que ceux-ci adoptent parfois des positionnements fluctuants voire contradictoires à l’image de Christiane Taubira qui a évolué et appelle désormais sans ambiguïté à la vaccination. De même, Fabien Roussel a adopté une stratégie différenciante de Jean-Luc Mélenchon sur les questions sanitaires en encourageant à la vaccination la plus large. Son électorat selon le sondage est clivé bien que plutôt favorable à la vaccination obligatoire. Cependant, ces dernières semaines, il a réalisé une percée chez les Solidaires qui eux, sont majoritairement défavorables aux questions posées. Donc en insistant trop sur ce point dans l’optique de se différencier de Jean-Luc Mélenchon, il prend un risque vis-à-vis des Solidaires et des Multiculturalistes, soit des composantes centrales de la gauche radicale.
Eric Zemmour subit les mêmes tensions sur ces sujets. Son électorat réunit des électeurs extrêmement radicaux mais attachés à l’ordre. S’il remettait en cause le bienfondé de la vaccination et des mesures de restriction, il prendrait le risque de cliver des clusters qui y sont plutôt favorables et dans lesquels il réalise des bons scores : les Anti-Assistanat, les Identitaires et surtout les Libéraux (cluster qu’il cible en adoptant un programme assez proche de celui de François Fillon en 2017). On observe d’ailleurs qu’Eric Zemmour progresse au sein de ce cluster (autour de 20% des intentions) et une éventuelle percée dans ce cluster augmenterait considérablement ses chances d’accès au 2nd tour. Il a donc tout intérêt à ne pas se positionner sur le sanitaire. A l’inverse, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron ont tout intérêt à essayer de l’emmener sur ce clivage orthogonal parmi ses électeurs.
On voit bien que ce thème sanitaire met tous les candidats en tension vis-à-vis de leur électorat à l’exception de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. En conclusion, le clivage autour de la politique sanitaire est d’autant plus favorable pour Emmanuel Macron qu’il fédère sa coalition électorale tout en divisant potentiellement les coalitions adverses. En cela, la crise pandémique aura, jusqu’à présent, permis au Président de consolider son bloc électoral.